Le risque pour le Québec d’entrer en récession a augmenté dernièrement sans que cela soit devenu le scénario le plus probable pour le moment. Mais il n’est jamais trop tôt pour prévenir. La Presse a demandé conseil à des économistes pour savoir comment doivent réagir les gouvernements, les entreprises et les ménages en prévision d’une éventuelle décroissance prolongée de l’économie.

La lutte contre l’inflation

Déjà, aux États-Unis, le produit intérieur brut a reculé au premier trimestre et la confiance des consommateurs est au plus bas. Ce n’est pas encore le cas au Canada. Exportation et Développement Canada (EDC) prévoit une croissance réelle de 3,7 % en 2022 et de 2,2 % en 2023. Plus pessimiste, RBC a des prévisions de croissance moindres, mais qui demeurent en territoire positif.

En fait, s’il y avait une récession, elle serait induite par la lutte contre l’inflation, explique Serge Coulombe, professeur émérite d’économie de l’Université d’Ottawa.

« La possible récession est un effet secondaire de la médecine que les banques centrales ont commencé à employer afin de lutter contre l’inflation, dit-il. Elles combattent l’inflation en augmentant les taux d’intérêt. L’objectif est d’augmenter les coûts d’emprunt dans le but de générer un ralentissement économique qui pourrait être également une récession. Le but est de calmer l’économie, qui est emballée actuellement. »

Une récession correspond à une croissance négative de l’économie pendant au moins deux trimestres consécutifs.

En attendant de savoir si le pays tombera ou pas en récession, les spécialistes à qui nous avons parlé invitent les gouvernements à la modération dans leurs dépenses.

Les 500 $ du premier ministre Legault

« Il faut que les gouvernements arrêtent d’augmenter les dépenses en termes réels pour ne pas nuire aux efforts des banques centrales qui essaient d’éteindre le feu », avance l’économiste Olivier Rancourt, de l’Institut de développement économique de Montréal (IEDM), groupe de réflexion favorable au libéralisme économique.

La Banque Scotia, dans un rapport publié dans la dernière semaine, de même que les économistes Serge Coulombe, de l’Université d’Ottawa, et Robert Hogue, de la RBC, à qui nous avons parlé, logent pour ainsi dire à la même enseigne.

L’exemple classique de la chose à ne pas faire, ce sont les 500 $ qu’on a eus au Québec. C’est une injection d’argent pure et simple dans l’économie. D’un point de vue individuel, ça peut aider temporairement, mais ça crée plus d’argent dans l’économie, ce qui vient nourrir l’inflation.

Olivier Rancourt

À gauche de l’échiquier politico-économique, Yvan Duceppe, comptable et trésorier de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), diffère d’opinion.

Il demande à la Banque du Canada d’agir avec discernement. Un peu comme avec le déficit zéro, le taux cible d’inflation à 2 % ne doit pas devenir une religion.

En prévision de la récession qui pointe à l’horizon, M. Duceppe souhaiterait que les gouvernements préparent un plan d’investissements axé sur les secteurs d’avenir, notamment la décarbonation de l’économie.

En lieu et place des chèques de 500 $ envoyés à tout le monde, le comptable de profession est favorable à une nouvelle aide ciblée qui pourrait, par exemple, prendre la forme d’un élargissement de l’admissibilité au programme Allocation-logement, destiné aux ménages à faibles revenus.

Stimuler l’offre

Dans une tout autre perspective, le conseiller principal en placements Allan Small recommande au gouvernement de stimuler l’offre, puisque l’inflation est d’abord et avant tout causée par le manque d’offre, selon lui.

« Il faut que les gouvernements trouvent une façon d’augmenter l’offre partout : énergie, travail et nourriture », dit le financier dont le cabinet de Toronto est rattaché à iA Gestion privée de patrimoine.

En ce sens, il serait favorable à la conclusion d’une entente à propos de l’Ukraine qui permettrait à la production agricole de sortir de la région. Au chapitre de la main-d’œuvre, M. Small suggère la levée de toutes les restrictions touchant le personnel non vacciné. Pour ce qui est de l’énergie, il croit que la réponse doit venir des États-Unis, parce que l’absence de nouveaux oléoducs limite la capacité du Canada à acheminer son pétrole et son gaz vers les marchés qui en redemandent.

Baisse des taxes sur l’essence

Le président Joe Biden a annoncé une réduction temporaire de la taxe fédérale sur l’essence aux États-Unis. Le professeur Serge Coulombe serait favorable à ce que les provinces canadiennes lui emboîtent le pas. « Une baisse temporaire de la taxe sur l’essence ou une baisse temporaire de la taxe de vente, c’est une possibilité », dit-il.

« Baisser la taxe sur l’essence serait une façon d’assouplir l’impact de l’inflation sur la population », renchérit Olivier Rancourt, de l’IEDM.

Pour sa part, Robert Hogue, économiste en chef adjoint de la RBC, désapprouve cette approche parce que cela irait à l’encontre des efforts du Canada pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre.

Des ménages endettés

De leur côté, les ménages paraissent essoufflés avant même l’arrivée d’une possible récession, souligne M. Rancourt. Très endettés, ils sont vulnérables à une hausse des taux d’intérêt, hypothécaires notamment ; d’où l’idée d’ajuster le budget dès maintenant en prévision d’une hausse du coût d’emprunt.

Qui plus est, l’inflation vient gruger le pouvoir d’achat des travailleurs puisque les salaires n’augmentent pas au même rythme que la hausse des prix, déplore M. Duceppe, trésorier de la CSN.

« L’ennemi numéro un, c’est l’inflation, soutient Serge Colombe. Ça touche tout le monde tout le temps. L’impact d’une récession est plus limité. Ça touche moins de monde, mais ces gens sont plus durement touchés. » Il s’attend à ce que les ménages moins fortunés se protègent en rognant sur les dépenses discrétionnaires en cas de récession.

Robert Hogue, de la RBC, imagine que des ménages chercheront à accroître leurs revenus de façon à boucler leur budget. « Des gens qui ont acheté leur maison à fort prix dans les dernières années vont peut-être vouloir toucher des revenus supplémentaires en louant leur sous-sol ou une partie de leur habitation, et faire des rénovations pour préparer leur résidence en conséquence. »

Investir ou non ?

Bien qu’elles en aient vu de toutes les couleurs durant la pandémie, les entreprises canadiennes disposent généralement d’un bilan sain, soutient Stuart Bergman, économiste chez EDC. La structure de l’économie canadienne, axée sur l’énergie et l’extraction de ressources naturelles, joue en faveur du pays. Sujet de préoccupation, « nos entreprises dépendent d’un consommateur plus endetté qu’au sud de la frontière », note-t-il.

« Si les entreprises détectent une baisse de la demande pour leurs produits, elles doivent s’ajuster rapidement et assainir leur bilan le plus possible pour passer au travers d’une période plus difficile », recommande Robert Hogue.

L’économiste en chef adjoint de la RBC serait surpris d’assister à un report massif des investissements. « Habituellement, les investissements ne sont pas influencés par des cycles économiques à très court terme ; la plupart du temps, un investissement répond aux tendances à long terme », fait-il valoir.