ANALYSE - Quand l'expansion est plus rapide que prévu, que les volumes d'exportations bondissent et que les mises en chantier maintiennent leur cadence effrénée contre toute attente, on devrait observer aussi une augmentation significative du nombre d'emplois.

Eh bien, non! Pendant un certain temps, la croissance peut reposer sur des gains de productivité, comme c'est le cas au Canada présentement.

Depuis un an, le nombre d'heures travaillées a même diminué de 0,2 % au pays, malgré la faible augmentation moyenne mensuelle de moins de 7000 emplois, la plupart à temps partiel.

Certes, les fluctuations mensuelles des données viennent brouiller la compréhension des transformations du marché du travail. Celles d'août de l'Enquête sur la population active de Statistique Canada sont particulièrement déroutantes.

Le niveau d'emploi a peu bougé avec 11 000 jobs en moins sur 17,85 millions, ce qui, jumelé à la désertion de 20 800 personnes des rangs de la population active, aura permis de garder le taux de chômage à 7 %.

Au Québec, les données ne sont guère mieux. La baisse de quatre dixièmes du taux de chômage, à 7,7 %, s'explique moins par l'addition statistiquement non significative de 4100 emplois, tous à temps partiel de surcroît, que par la diminution appréciable de 14 000 personnes dans l'effectif de la population active. Le Québec comptait d'ailleurs 21 000 emplois de moins le mois dernier qu'en décembre.

Ce qui agace dans les chiffres d'août, c'est la saignée sans précédent de 111 800 personnes dans le secteur privé, compensée par 86 900 personnes qui se disent désormais travailleurs autonomes, un chiffre d'une ampleur mensuelle inédite. Le piqué du nombre de salariés indique que les entreprises n'ont pas créé d'emplois depuis un an. Plutôt que de se définir comme chômeurs, beaucoup de personnes choisissent de tenter de gagner leur vie en devenant leur propre employeur. C'est une autre facette du malaise qui sévit dans le marché du travail.

C'est essentiellement dans les services qu'on observe les deux phénomènes. La perte de 44 000 emplois chez les femmes de 25 à 54 ans n'est sûrement pas étrangère au phénomène.

Pendant ce temps, les entreprises semblent réorganiser leur façon de produire. Si elles hésitent toujours à investir en équipement, machines et logiciels, elles parviennent à augmenter la quantité de production par heure travaillée, ce qu'on appelle la productivité du travail.

Celle-ci a progressé de 1,8 % au deuxième trimestre, nous apprenait aussi Statistique Canada hier. Depuis un an, elle s'est améliorée de 3,3 % comparativement à 1,8 % pour celle des entreprises américaines.

En fait, estime Douglas Porter, économiste en chef de BMO Marchés des capitaux, les gains annuels moyens de productivité des cinq dernières années ont été de 1,4 % au Canada comparativement à 1,3 % aux États-Unis. Bref, le Canada a enfin rattrapé son retard accumulé depuis le début du présent cycle!

Les coûts unitaires de main-d'oeuvre ont aussi diminué, si on les exprime en dollars américains, à cause de la dépréciation du huard. Sa légère remontée au printemps atténue toutefois cette diminution.

Ces gains de productivité sont essentiels, si le Canada entend reprendre les parts de ses marchés d'exportation perdues depuis le début du millénaire.

À mesure qu'elles reviendront, les entreprises n'auront d'autre choix que d'investir et d'embaucher de nouveau pour remplir leurs commandes, compte tenu de la raréfaction de leurs capacités de production inutilisées.

C'est précisément ce à quoi on assiste aux États-Unis. Malgré l'ajout de «seulement» 142 000 emplois salariés le mois dernier, la moyenne mensuelle des 12 derniers mois dépasse les 200 000.

Bref, les entreprises canadiennes et américaines ont pris des voies opposées pour sortir de la Grande Récession: les premières ont embauché, les secondes ont accru leur productivité. Vient un moment au cours du cycle où ces voies convergent.

Si c'est déjà le cas de la productivité, il reste encore du chemin à parcourir pour le marché américain du travail.

Selon la méthodologie du Bureau of Labor Statistics, les deux taux de chômage sont à 6,1 %, mais le taux de participation des Américains de 16 ans et plus au marché du travail reste faible à 62,8 %. Celui des Canadiens atteint 65,9 %, ce qui est historiquement très faible.