Fini, monsieur, le temps où vous pouviez cacher l'échec de votre régime en disant: je pèse 100 kg, US!

Fini, monsieur, le temps où vous pouviez cacher l'échec de votre régime en disant: je pèse 100 kg, US!

Terminée, madame, l'époque où vous pouviez dissimuler votre connaissance de la vie en disant: j'ai 39 ans, US!

Désormais, c'est du un pour un. Et il est bien possible qu'avant longtemps, l'Américain donne son poids en livres canadiennes, tout comme, l'Américaine, son âge en années canadiennes.

Et dire qu'il y a cinq ans à peine des gens des milieux d'affaires, tels Laurent Beaudoin (Bombardier), Paul Tellier (Canadien National) ou Sherry Cooper (BMO), prônaient l'abandon de notre monnaie (et d'un pan de notre souveraineté) tandis que Conrad Black prédisait que les États-Unis allaient lancer une offre publique d'achat sur le Canada! Quels visionnaires!

Jeudi, le huard a mis au défi le pygargue à tête blanche. À 14h45, il fallait 1,0002 dollar américain pour acheter son équivalent canadien.

En clôture, notre dollar s'était replié un tantinet et valait 99,87 cents US, soit un gain de 1,49 cent par rapport à mercredi.

«Il est très difficile de traverser la parité la première fois, explique François Barrière, vice-président, développement des affaires, marchés internationaux, de la Banque Laurentienne. Il y a beaucoup d'investisseurs qui protègent le dollar américain.»

Ce n'est toutefois que partie remise à ses yeux, lui qui prédit ce que nous vivons depuis déjà plusieurs mois, tant solides sont les fondements de l'économie canadienne.

On pense à la confiance du consommateur, à la force du taux d'emploi, à la robustesse de la croissance, à la santé des finances publiques et au solde positif de l'ensemble de nos échanges avec le monde. Ces jours-ci, les Américains ne peuvent pas afficher de fiche aussi reluisante.

Jeudi encore, on apprenait chez nous que les ventes du commerce de gros avaient bondi de 2,3% en termes réels en juillet. Cela laisse entrevoir que l'économie canadienne voguait à toute vapeur encore.

Depuis le début de l'année, notre monnaie a gagné plus de 16% d'équivalence contre la monnaie américaine.

En septembre seulement, sa poussée atteint près de 5 cents. Elle repose avant tout cette fois-ci cependant sur la faiblesse du billet vert et de l'économie des États-Unis.

L'euro a aussi atteint un sommet en s'échangeant jeudi contre près de 1,41$US.

Fait à signaler, à son creux de 62,02 cents US le 18 janvier 2002, le huard valait 0,70 euro. Jeudi, il s'échangeait contre 0,71 euro.

«Le dollar canadien devrait finir par faiblir contre le dollar américain, croit d'ailleurs Frédéric Mayrand, vice-président principal et chef cambiste chez BNP Paribas. À long terme, si l'économie américaine faiblit, le prix du pétrole va baisser, celui des matières premières aussi et le Canada sera frappé.»

À l'exception de François Barrière, il ne se trouve guère d'économistes capables d'imaginer que le huard vaille davantage que le billet vert à moyen terme.

Pourtant, c'est une réalité qui s'est produite à plusieurs reprises au cours des 100 dernières années. Un écart de plus de 20 cents, comme c'était le cas entre 1993 et 2003 fait plutôt figure d'exception.

La présente poussée amorcée en 2003 repose sur l'appréciation du prix des matières premières et de l'énergie. Juste avant l'invasion anglo-américaine de l'Irak, le prix du baril de brut oscillait autour des 30 $ US.

Jeudi, il s'échangeait à plus de 83$US à New York.

Les prix des métaux de base, aluminium, cuivre, nickel, plomb et zinc, que le Canada produit et exporte en abondance, ont bondi à l'avenant. Sans parler de l'or et de l'uranium.

Ces produits sont largement expédiés vers les économies émergentes d'Asie, devenues des joueurs de plus en plus puissants sur l'échiquier mondial.

«C'est important pour le Canada et le huard parce que cela limite le risque pour les prix des matières premières», croient Stéfane Marion et Éric Dubé, de la Financière Banque Nationale, qui viennent de publier une analyse lumineuse sur le comportement du huard dans le présent réalignement des monnaies.

La force de la nôtre pose cependant un joli problème aux exportateurs canadiens ou à nos entreprises qui expriment leurs résultats financiers en dollars américains.

«Aujourd'hui, les entreprises peuvent supporter un huard à 95-98 cents US, croit M. Barrière. L'an prochain, elles seront prêtes pour 1,00 $ US ou 1,01 $ US. Mais la parité aujourd'hui, c'est un petit peu trop tôt.»

La parité place la Banque du Canada devant un singulier dilemme. Elle voyait le huard évoluer aux environs de 95 cents américains d'ici la fin de l'année ce qui lui permettait de soutenir que son taux directeur est approprié à 4,50%.

L'envolée de notre monnaie équivaut à un resserrement monétaire considérable alors que la crise des liquidités qui secouent les marchés depuis un mois n'est pas résorbée. Bref, abaisser son taux directeur freinerait la poussée du huard, mais stimulerait l'inflation au moment où elle s'attend à ce que les prix augmentent.

Le gouverneur David Dodge prononce une conférence mardi à Vancouver. Il sera écouté avec attention, à n'en pas douter.