Pour justifier son refus de signer le code de conduite sur lequel l’industrie alimentaire canadienne travaille depuis trois ans, le grand patron de Loblaw, Galen Weston, a soumis aux élus fédéraux l’exemple australien. Le hic : il est erroné.

Selon le dirigeant, la tierce partie responsable de faire respecter le code du pays des kangourous est favorable aux fournisseurs qui veulent hausser leurs prix dans « pratiquement 100 % des cas ». Cela nuit aux consommateurs et si un mécanisme similaire devait être adopté au Canada, les prix de détail bondiraient dans nos épiceries.

Loblaw (Maxi et Provigo, au Québec) calcule que le code de conduite, dans sa forme actuelle, pourrait faire bondir le prix des aliments d’un milliard de dollars. « Ce risque est bien réel et constitue à lui seul une raison de marquer un temps d’arrêt », avait déclaré Galen Weston au Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire (AGRI), le 7 décembre⁠1.

Son exemple, au cœur de son argumentaire, semblait logique. Personne ne l’a contredit. Mais les experts de l’industrie alimentaire qui ont étudié en profondeur le code australien pour en élaborer l’équivalent canadien ont sourcillé.

C’est le cas de Mathieu Frigon, président et chef de la direction de l’Association des transformateurs laitiers du Canada. « Soit c’est un exemple inventé, et j’espère que ce n’est pas le cas, soit il parle d’un autre code australien dont je n’ai pas connaissance, mais qui ne serait pas le code pour le secteur des produits d’épicerie parce qu’il n’y en a qu’un. »

Michael Graydon, PDG de la Food, Health & Consumer Products of Canada (FHCP), l’association nationale qui représente les fournisseurs des supermarchés, n’en croyait pas davantage ses oreilles. Il m’a raconté avoir lu le code australien « entre 25 et 30 fois », ce qui lui a permis de savoir immédiatement que les propos de Galen Weston étaient « inexacts ».

Décontenancés, les deux hommes ont écrit à des personnes ayant participé à la rédaction du code australien ainsi qu’à l’organisation indépendante de gestion des différends pour en avoir le cœur net. La captation vidéo de Galen Weston devant le Comité de l’agriculture s’est aussi rendue de l’autre côté de la Terre.

Celui qui tranche les litiges entre les fournisseurs et les supermarchés de l’Australie depuis 2021, Chris Leptos, a qualifié d’« erronés » les propos de Galen Weston dans la vidéo. Le code de conduite de l’industrie alimentaire en Australie « ne prévoit pas de mécanisme de négociation des prix », m’a-t-il écrit en précisant qu’il ne donnait pas non plus raison aux fournisseurs 100 % du temps. Le code existe depuis 2015.

« J’ai regardé l’enregistrement canadien et je suis tout aussi déconcertée [baffled] que vous par les commentaires », a répondu à la FHCP Samantha Blake, présidente et chef de la direction adjointe de l’Australian Food and Grocery Council (AFGC).

Se pourrait-il que Galen Weston se soit tout simplement trompé de pays ? Mathieu Frigon, qui connaît bien les codes dans le monde, ne le croit pas.

« J’ignore d’où ça vient […] Le code australien ne gère pas les prix ou les augmentations de coûts pour les détaillants du tout. Aucun autre code dans l’épicerie non plus. Le code du Royaume-Uni ne le fait pas. Et le code canadien qu’on a développé non plus. La tierce partie en Australie ne pourrait pas prendre des décisions sur des choses qui ne sont pas dans le code. »

Michael Graydon suppose pour sa part que Galen Weston a pu être mal informé par son équipe, car le haut dirigeant « ne peut pas tout savoir ».

Dans l’espoir d’élucider le mystère, j’ai questionné Loblaw. Réponse : « Nous nous sommes entretenus avec des dirigeants du secteur de l’alimentation au détail en Australie qui nous ont indiqué que la procédure de règlement des différends comportait des failles et qu’elle faisait actuellement l’objet d’un réexamen. »

Je doute que cette explication apaise les tensions entre Loblaw et le Groupe de travail qui tente de doter le Canada d’un code de conduite. Le ton des échanges par lettre transpire l’irritation, l’impatience.

Le Groupe a récemment écrit à l’épicier qu’il s’inquiète du fait que ses « opinions non fondées » se soient retrouvées dans les médias. Il lui indique que certaines de ses interprétations sont « tout simplement erronées », que ses affirmations sont « fausses », que certains articles du code sont pourtant « très simples » à comprendre.

Devant un tel fossé, les ministres de l’Agriculture de tout le pays devraient décider de rendre le code obligatoire. Un grand nombre de PME du secteur de la transformation alimentaire bénéficieraient de relations plus saines avec les grandes chaînes après des décennies conflictuelles qui usent leurs nerfs et réduisent leur capacité à innover.

Contrairement à ce que prétend Loblaw, ce code qui vise à « régler de graves problèmes structurels et comportementaux » et à assainir les pratiques commerciales devrait aussi profiter aux consommateurs qui ont justement besoin d’un répit.

1. Lisez la chronique « Alimentation : des prix réduits en catimini »