La question m’a été posée par de très nombreux lecteurs : que fait donc la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) avec les 66 millions de dollars de cotisations de ses membres si elle n’a pas de fonds de grève ? Où va l’argent ?

Présentée ainsi, la situation évoquée par le chroniqueur Richard Martineau, entre autres, a tout pour faire scandale : les grévistes dans la rue paient une fortune et ne reçoivent pas les fruits de leurs cotisations quand les choses comptent vraiment.

Pour y voir clair, tentons de débroussailler les finances de la FAE. Je dis « tentons », car la FAE n’a pas voulu nous transmettre ses états financiers, les réservant à ses 66 500 membres, et encore, sur demande. La FAE m’a tout de même fourni certains chiffres importants.

D’abord, la FAE ne collecte pas la totalité des cotisations versées par ses membres, mais seulement le tiers. Le reste est conservé par les 9 syndicats régionaux qui y sont affiliés, essentiellement.

Ensuite, les cotisations qui sont partagées ne représentent pas 66 millions, mais plutôt 42 millions cette année, me dit encore la FAE.

Bref, le tiers de cette somme revient réellement à la FAE et avoisine les 14 millions. Les 9 syndicats locaux se partagent le reste (28 millions)⁠1.

Quoi qu’il en soit, c’est beaucoup d’argent. La plus grande part des fonds de la FAE (6,2 millions des 14 millions ou 44 %) est versée en rémunération aux permanents qui sont élus pour en diriger les activités, ainsi qu’aux conseillers syndicaux et autres responsables de la vie professionnelle et politique, notamment. Ils sont près de 50 en tout.

Et cette année, une grosse part du budget – 3,9 millions ou 28 % – a été réservée à la négociation nationale (pancartes, publicités, transport, location de salles, communications, hôtels, etc.).

La FAE m’assure que ses états financiers sont passés au peigne fin par un comité, vérifiés par une firme comptable et présentés aux membres présents à ses assemblées chaque année. Visiblement, les fonds ne servent pas à distribuer les voyages à Dubaï, comme le pensent certains lecteurs en évoquant la bourde de Magali Picard, de la FTQ.

Tout de même, il reste opportun de s’interroger sur la pertinence des dépenses des syndicats, d’autant que ni les cotisations des membres ni les excédents des syndicats ne sont imposables. En passant, les cotisations non imposables de l’ensemble des syndiqués du Québec – public et privé – avoisinent le milliard de dollars chaque année.

Les 50 employés de la FAE font-ils tous une activité essentielle ? Certes, il y a des assemblées syndicales à organiser, des professionnels externes à payer, il faut répondre aux questions des membres, des griefs à gérer, mais les employés ont-ils tous une tâche, disons, productive ?

Et comment en juger ? Que penser des employés qui travaillent à plein temps à la vie politique, professionnelle et pédagogique ? Sont-ils trop nombreux ou pas assez pour décortiquer les projets de loi, analyser les dernières avancées pédagogiques et produire des mémoires pour les consultations publiques ?

Certains de la FAE font-ils du travail en double par rapport à celui des quelque 200 autres employés permanents qui travaillent dans les 9 syndicats locaux qui y sont affiliés ?

Bien difficile à dire, et rares sont les membres qui contestent les finances et l’efficacité de la gestion de leur syndicat, bien que tous soient tenus par la loi de verser des cotisations, qui grimpent au rythme de l’augmentation des salaires.

124 000 $ de rémunération

Justement, qu’en est-il du traitement des employés ? À la FAE, la rémunération moyenne de la cinquantaine d’employés atteindrait 124 000 $, y compris les avantages sociaux et le régime de retraite, selon ce qu’on déduit des chiffres de la FAE.

Les enseignants membres de la FAE ont une rémunération passablement moindre. Avec 10 ans d’expérience, un enseignant gagne environ 93 000 $, toujours en ajoutant au salaire les avantages sociaux et la valeur du régime de retraite.

La rémunération plutôt généreuse de la FAE est loin d’être une exception. À la CSN – celle qui paie le mieux ses employés parmi les organisations syndicales –, la rémunération moyenne a atteint 159 290 $ entre 2020 et 2023, selon les états financiers, qui sont publics⁠2.

La part qui est consacrée aux avantages sociaux et de retraite à la CSN est nettement plus importante qu’ailleurs, puisqu’elle équivaut à 35 % de ses salaires moyens de 118 000 $. Au gouvernement, c’est plutôt 22 %, bien souvent.

Fonds de grève énorme

Mais revenons à nos moutons. Au vu de ces dépenses de la FAE, aurait-il été possible d’économiser pour se constituer un fonds de grève intéressant ? Probablement pas.

En supposant une petite prestation de 300 $ par semaine de grève, par exemple, il faudrait que la FAE verse à ses 66 500 membres environ 20 millions chaque semaine, soit davantage que son budget annuel.

Après un mois, la somme grimpe à plus de 80 millions, près de 6 fois son budget annuel.

Il faut plusieurs années pour se constituer un tel fonds de réserve ou encore être associé à des centrales plus grandes, capables de financer un tel montant. Or, la FAE n’existe que depuis 2006, alors que 9 syndicats locaux se sont séparés de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et de son affiliée, la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE).

De toute façon, la FSE n’a pas, elle non plus, de fonds de grève, mais ses membres, dans le front commun, ont adopté des grèves par séquence pour commencer, suivies éventuellement d’une grève générale illimitée.

La CSN, plus vieille et plus grosse, dispose d’un certain fonds de grève. D’ailleurs, le personnel de soutien des écoles et des cégeps, de même que les professeurs de cégep ont droit à une prestation de 315 $ pour 5 jours de grève. Jusqu’à maintenant, ils ont fait 11 jours de grève.

À ce jour, la centrale a donc dû prévoir plus de 30 millions de dollars de prestations pour ses 50 000 membres du secteur de l’éducation en grève. C’est une part très importante de son Fonds de défense professionnelle, qui s’élevait à 76,9 millions au début de 2023.

Un vrai scandale, ces millions ? Pas vraiment, mais les syndiqués auraient tout intérêt à mieux scruter les dépenses, les salaires et le travail de leurs organisations syndicales.

1. En comparaison, les revenus de la CSQ ont atteint 41,3 millions de dollars au cours de l’année terminée le 31 août 2022, dont 24,1 millions en cotisations syndicales, selon l’état des résultats que m’a transmis la CSQ. La CSQ compte 225 000 membres, dont 95 000 viennent de la Fédération nationale de l’enseignement (FSE).

2. Consultez les états financiers de la CSN