Ça sent la fin de la récréation pour les concessionnaires auto qui résistent depuis longtemps à l’idée d’assainir leurs pratiques en ce qui concerne la vente de l’assurance de remplacement (F. P. Q. n5). Les avertissements n’ayant jamais rien donné, Québec a décidé de prendre les grands moyens pour régler l’affaire. Si tout se passe comme prévu, la loi sera modifiée pour leur interdire la vente de ce type d’assurance.

C’est passé sous le radar. Le ministre des Finances, Eric Girard, a déposé en juin un projet de loi pour modifier une série de lois touchant les services financiers. Ça inclut le courtage immobilier, les valeurs mobilières et les assurances.

Tout cela est assez technique. Mais un paragraphe aura un impact très concret pour les consommateurs et les vendeurs d’autos qui perdront le droit de vendre l’assurance de remplacement. Ce produit, qui permet à l’assuré d’obtenir une indemnité qui ne tient pas compte de la dépréciation après un vol ou un constat de perte totale, est particulièrement lucratif.

L’an dernier, les concessionnaires du Québec ont vendu près de 64 000 assurances de remplacement à 2323 $ chacune, en moyenne, pour un total de 148 millions de dollars. Ce n’est donc pas une petite affaire. La commission de 45 % est tout aussi imposante. Les vendeurs d’autos ont ainsi empoché 67 millions, selon l’Autorité des marchés financiers (AMF). En comparaison, les courtiers d’assurance touchent 12,5 %.

La commission des vendeurs d’autos est tellement élevée que cela « est susceptible d’induire de mauvaises pratiques de vente », croit l’AMF. C’est une façon très polie de dire qu’ils ont tout intérêt à présenter le F. P. Q. n5 comme la huitième merveille du monde et à mettre de la pression sur le client pour qu’il signe sans trop lui donner de détails.

De fait, des concessionnaires affirment que l’assurance de remplacement qu’ils proposent est obligatoire. Ce qui est faux. Certaines personnes se font offrir un meilleur taux de financement si elles achètent l’assurance, ce qui est interdit. Pire, des consommateurs ont découvert que l’assurance avait été ajoutée à leur insu sur le contrat d’achat de leur véhicule.

Le prix de cette assurance de remplacement est par ailleurs « élevé » chez les concessionnaires (en raison de la forte commission) et sa valeur est « limitée », juge l’AMF. Voyez par vous-même : l’indemnisation moyenne est de 3056 $, seulement 1183 $ de plus que le prix de l’assurance. Il est par ailleurs intéressant de constater que les indemnités payées reculent d’année en année.

C’est sans compter que le coût de l’assurance est inclus dans le contrat de financement du véhicule, à un taux d’intérêt autour de 7 % ces jours-ci, que la décision d’achat doit être prise rapidement durant la rencontre avec le directeur commercial, et que les remboursements sont compliqués, voire impossibles à obtenir.

Les concessionnaires ont eu des années pour s’autodiscipliner. Ils ont préféré le statu quo et risquent maintenant d’en payer le prix.

L’AMF « a sensibilisé les concessionnaires automobiles sur les problèmes rencontrés, a servi des avertissements, a mis en place une table de concertation et a même dû recourir dans certains cas aux tribunaux, mais sans résultat notable », rappelle le porte-parole Sylvain Théberge.

Au cabinet d’Eric Girard, on n’a pas blâmé l’AMF pour l’absence de résultats satisfaisants. Québec aurait plutôt agi grâce « aux constats posés » par le gendarme du secteur financier québécois, m’a-t-on dit. De toute évidence, le ministre avait perdu espoir de voir un changement se produire.

Petit rappel important, ici. L’assurance de remplacement n’est pas la même chose que l’avenant valeur à neuf (F. A. Q. n43), vendu uniquement par les assureurs, même si les deux vous permettent de remplacer un véhicule volé ou déclaré perte totale par un neuf. Malheureusement, la confusion est telle que 22 % des Québécois ont déboursé pour les deux protections ces dernières années, selon un sondage Léger. Cela équivaut à mettre jusqu’à 1700 $ dans le feu, calcule le CAA.

Les courtiers d’assurance accueillent avec un large sourire « le courage politique » du ministre Eric Girard. Normal, car si la loi qui chemine à la vitesse grand V à l’Assemblée nationale est adoptée telle quelle, la concurrence que leur livrent les concessionnaires va disparaître. Mais comme le souligne George Iny, de l’Association pour la protection des automobilistes, les concessionnaires n’étaient pas des concurrents avec leurs prix deux fois plus élevés. Bon point !

La présidente du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ), Maryse Rivard, explique d’ailleurs que ses membres ne s’attendent pas à vendre davantage d’assurances de remplacement et à s’enrichir avec ça.

« Ma rémunération est de 12,5 % sur l’assurance de remplacement et la valeur à neuf. La valeur à neuf coûte entre 150 $ et 200 $ la première année et la garantie de remplacement est peut-être de 1200 $ sur la durée du contrat. Je vais vous le dire, 9 fois sur 10, je vends la valeur à neuf. Pourquoi ? Parce que c’est ce qu’il y a de mieux pour les clients. » La transaction rapporte alors autour de 20 $ au cabinet de courtage.

On verra à l’usage comment l’industrie de l’assurance s’adapte, si de nouveaux acteurs entrent en scène, si le prix des polices bouge. Au moins, on ne verra plus de consommateurs acheter à la fois le F. P. Q. n5 et le F.A.Q. n43.

De leur côté, les concessionnaires voudront sans doute compenser cette perte de revenus de 67 millions. Aux États-Unis, ils contournent l’interdiction de vendre des assurances en embauchant des courtiers qui leur versent des ristournes en dessous de la table, raconte George Iny.

L’industrie automobile a maintes fois démontré sa capacité à être imaginative. Au plus fort de la pénurie de véhicules, des concessionnaires forçaient leurs clients à acheter une assurance ou des options, sans quoi ils refusaient de conclure la vente, comme je l’ai déjà écrit. L’appât du gain n’a pas de limites.

Une version antérieure de ce texte contenait une erreur d'appellation pour l'assurance de remplacement F. P. Q. no 5

Consultez le rapport de l’AMF Lisez la chronique « Les clients moins payants se font tordre le bras » Comparez le F. P. Q. no 5 et le F.A.Q n43