Pierre-Olivier Pineau m’avait confié vouloir démissionner il y a déjà un an. Je n’ai donc pas été surpris d’apprendre qu’il claquait la porte du Comité consultatif sur les changements climatiques du gouvernement Legault, mardi.

Il m’avait alors dit que les choses n’avançaient pas assez vite, qu’on passait trop de temps à discuter de processus plutôt que d’actions, bref, que le comité était inefficace.

Le professeur de HEC Montréal m’a donné les mêmes raisons, mercredi, pour justifier son départ du comité, né il y a bientôt 3 ans. Il a l’impression que le comité sert de paravent pour masquer l’inaction du gouvernement Legault.

La goutte qui a fait déborder le vase est la version édulcorée du rapport préliminaire sur le bilan des actions du gouvernement Legault, transmise aux membres en août.

« On y fait un spin plutôt positif des actions du gouvernement. Tout le volet sur l’inefficacité des programmes gouvernementaux soulevé par le sous-comité responsable a été évacué », me raconte-t-il.

Disparues, les critiques sur le Fonds d’électrification et de changements climatiques. L’ex-Fonds vert a pourtant été écorché par la commissaire au développement durable pour son manque d’efficacité, de transparence et de cibles. Le Fonds gère tout de même 6,7 milliards !

Pierre-Olivier Pineau a donc démissionné à la réunion du 23 août, jugeant que le gouvernement Legault cherchait à obtenir un rapport propret, par le truchement du président du comité, Alain Webster.

« On ne s’en va nulle part et je n’en peux plus », me dit M. Pineau, qui a assisté à une trentaine de réunions depuis deux ans.

Mais voilà, Alain Webster a une autre version. Il affirme que c’est aussi en raison d’un conflit d’intérêts que le professeur a démissionné, comme le rapporte mon collègue Jean-Thomas Léveillé.

À la réunion précédente, M. Webster avait demandé à M. Pineau de se retirer des discussions sur le marché du carbone du Québec, puisqu’il détient des titres acquis sur ce marché. Le professeur Pineau a refusé, laisse comprendre M. Webster, ce que nie M. Pineau.

Pierre-Olivier Pineau détient 3000 titres d’une valeur de 47 $ chacun, soit au total plus de 140 000 $.

Mais au fait, est-ce vraiment un conflit d’intérêts ?

Pour comprendre, il faut savoir que M. Pineau critique le gouvernement au motif qu’il tire avantage du marché du carbone pour embellir indûment le bilan de GES du Québec.

Comment est-ce possible ? C’est que le gouvernement inclut dans le bilan de GES du Québec le flot net de titres achetés par les entreprises du Québec sur le marché à des vendeurs de Californie, alors que ces entreprises du Québec n’ont pas réellement réduit leurs GES au Québec⁠1.

Or, une telle position de M. Pineau implique qu’il souhaite voir ces entreprises se priver de tels titres pour réduire leurs GES, en quelque sorte, et le cas échéant, cela aurait pour effet d’en diminuer le prix sur le marché du carbone.

Bref, sa position présentée au comité est de nature à nuire à la valeur de son placement, pas l’inverse. Où est son intérêt ?

Comme plusieurs des autres membres, M. Pineau est un environnementaliste vert foncé. Pour ses vacances, il fait du plein air. Et son Nutella, il le produit lui-même en broyant des noisettes à la machine pour éviter d’acheter du Nutella commercial avec de l’huile de palme.

Un autre membre du comité, Catherine Potvin, trouve très dommage que Pierre-Olivier Pineau ait choisi de démissionner, étant donné son expertise importante et rare.

La professeure d’écologie de l’Université McGill défend toutefois l’indépendance du comité, formé de bénévoles et d’experts dans le domaine. En France et au Royaume-Uni, de tels comités ont été influents.

Les avis du comité québécois publiés à ce jour, dit-elle, sont d’ailleurs costauds.

Le premier a exigé la fin des nouvelles autoroutes au Québec et demandé un moratoire sur la conversion des milieux naturels. Le deuxième a sonné l’alarme sur les écosystèmes. Le troisième, qui sera publié incessamment, aura des recommandations solides pour le transport lourd.

Catherine Potvin affirme qu’il est trop tôt pour juger de l’avis du comité sur le bilan gouvernemental, comme le fait M. Pineau. Le texte sera modifié au fil des discussions. « Et il sera final quand le coup de marteau sera donné », en novembre.

« Je suis très traumatisée par les changements climatiques, encore plus avec les incendies de forêt. On ne devrait pas donner d’importance à un conflit de personnalités, mais plutôt se concentrer sur les actions pour limiter les changements climatiques », dit-elle.

Mais justement, ces actions concrètes, sont-elles bien implantées, bien mesurées ? Les avis du comité donnent-ils des fruits ? Où sont les mesures d’écofiscalité qui viendraient optimiser la demande, réclamées par la majorité des experts ?

Comment expliquer qu’on n’exige pas encore, minimalement, que les constructeurs de véhicules publient bien en vue dans leurs publicités la consommation d’essence et de GES de leurs produits, comme en Europe ?

La démission de l’expert en politique énergétique – l’un des rares au Québec – est bien dommage. Peut-être aurait-il dû rester tout en se retirant des discussions sur le marché du carbone, bien qu’il soit l’expert du domaine. Sauf que visiblement, Pierre-Olivier Pineau est devenu impatient devant la mollesse de nos actions, l’absence de recul de nos GES et l’impact devenu plus visible des changements climatiques.

Le gouvernement a-t-il vraiment fait pression pour embellir le rapport préliminaire afin de ne pas nuire à son image ? Ce n’est pas clair. Ce qui compte, maintenant, ce sont les mesures que le gouvernement Legault prendra pour vraiment améliorer les résultats, la transparence et la reddition.

1. Les titres en question sont des droits émis par le Québec et la Californie autorisant les entreprises détentrices à émettre une certaine quantité de GES. Ils sont notamment achetés par les entreprises qui ne sont pas en mesure de réduire réellement leurs GES, comme l’exigent les limites gouvernementales. Les titres sont ultimement achetés à des entreprises vendeuses qui, elles, parviennent à réduire leurs GES au-delà des exigences. Les entreprises du Québec sont plus nombreuses à acheter de la Californie que l’inverse et l’écart vient réduire le bilan de GES du Québec.