Les dirigeants de la Caisse de dépôt et placement du Québec parviennent-ils à battre les marchés financiers ? Leur gestion active réussit-elle à donner une plus-value au portefeuille des déposants, plus-value qui sert de justification à leur forte rémunération ?

Cette question, qu’on se pose tous les ans lors de l’annonce des résultats, a été décortiquée sous différents angles dans une étude intéressante du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal1.

Les auteurs, notamment Jonathan Deslauriers et Robert Gagné, concluent que la gestion active de la Caisse n’est « jamais parvenue à surclasser le rendement » qu’elle aurait obtenu en plaçant simplement les fonds selon une stratégie passive, définie par un indice de référence utilisé par une autre caisse de retraite canadienne, soit l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada (Investissement RPC).

L’affirmation est grosse, très grosse. Elle signifie, en quelque sorte, que les décisions des dirigeants de la Caisse sont inutiles pour l’obtention de rendements, voire nuisibles, bref qu’on serait mieux servi en les mettant à la porte…

Voyons voir. D’abord, je ne m’attarderai pas à la comparaison des rendements absolus des grandes caisses de retraite canadiennes – la Caisse arrive en milieu de peloton sur 13 ans – pour une raison simple, que reconnaît l’étude : les caisses ont des cotisants bien différents, ce qui vient modifier considérablement leurs stratégies de placement, et donc le rendement qu’elles sont en mesure d’obtenir2.

Pour comparer, il est préférable de s’en remettre au rendement relatif, c’est-à-dire à la plus-value qu’obtiennent les caisses de retraite par rapport à des portefeuilles aux mêmes paramètres, qu’on appelle des indices de référence.

Le hic, soutient l’étude, c’est que les indices choisis par les caisses de retraite sont définis à l’interne, avec une « rigueur variable ». L’étude s’en prend au cas des placements privés, qui composent 20 % du portefeuille de la Caisse de dépôt. Non seulement l’évaluation est définie à l’interne, sur la base de valeurs marchandes dites comparables, mais l’indice de comparaison n’est pas neutre, contrairement à ceux du marché boursier.

Pour juger du travail de la Caisse, les auteurs estiment donc qu’il faut comparer son rendement global à un indice passif, basé seulement sur les marchés boursiers et obligataires, comme celui qu’utilise le Régime de pensions du Canada (Investissement RPC), de l’Ontario.

Ultimement, ils comparent le rendement du seul des 48 déposants de la Caisse qui soit vraiment comparable à Investissement RPC, soit le Régime de rentes du Québec (RRQ)3.

Leurs résultats ? Entre 2009 et 2021, estiment les auteurs, la Caisse-RRQ a fait 4 % de moins que l’indice passif d’Investissement RPC, alors que ce dernier a fait 4 % de plus, soit un écart de 8 points de pourcentage entre les deux. Bref, les décisions des dirigeants de la Caisse nuisent, procurant des rendements moindres qu’une stratégie indicielle passive, comprend-on de l’étude.

Ce que j’en pense ? L’analyse est intéressante, mais j’ai plusieurs réserves.

D’abord, l’année de départ choisie pour faire la comparaison – 2009 – est de nature à changer considérablement les conclusions.

Si l’on prend 2010 comme année de départ, par exemple, le portrait change du tout au tout. La Caisse-RRQ obtient alors une plus-value d’environ 5 % entre 2010 et 2021, plutôt qu’une moins-value de 4 %. Depuis 2010, la gestion de la Caisse a donc ajouté 5 % de valeur au RRQ par rapport à l’indice de référence du RPC utilisé par l’étude, peut-on dire.

Chez Investissement RPC, l’année 2010 comme point de départ ferait passer l’ajout de valeur à 9 % sur 12 ans, environ. Et l’écart de rendement entre la Caisse-RRQ et le RPC fond de moitié, passant de 8 points à 4 points de pourcentage sur 12 ans, environ, toujours en faveur du RPC.

L’année 2009 choisie par les auteurs comme point de départ des comparaisons est celle du rebond des marchés financiers après la crise financière de 2008.

Or, la Caisse avait manqué ce rebond dans le contexte du départ du PDG – tombé en burnout lors de la crise de l’automne 2008 – et de l’arrivée de Michael Sabia en mars 2009. La Caisse manquait alors de liquidités pour réinvestir, vu le gel des papiers commerciaux et l’impact de la politique de couverture de change durant la crise de l’automne précédent, entre autres.

Durant les quatre années suivantes, fustigée par la population et traumatisée par l’impact du risque en 2007 et 2008, la Caisse a choisi de jouer de prudence, ne faisant guère mieux que le marché.

Deuxième réserve sur l’étude : le degré de risque différent du RRQ et du RPC. L’indice de référence auquel se compare le RPC ontarien reflète le degré de risque que l’organisation accepte de prendre pour obtenir de meilleurs rendements.

Depuis 2019, cet indice passif répartit le portefeuille à 85 % dans les marchés boursiers et à 15 % dans les obligations, essentiellement. Or, à la Caisse-RRQ, la répartition est plutôt d’environ 80 %-20 % pour la même période. On compare donc la Caisse-RRQ avec un indice plus risqué, qui ne reflète pas bien son portefeuille.

Ce n’est pas tout. Au RPC, les dirigeants prennent le risque d’emprunter pour investir, bien davantage qu’au RRQ. Cet effet de levier représente même 27 % du portefeuille du RPC, contre 3 % au RRQ.

Bref, le portefeuille du RPC ontarien obtient de meilleurs rendements que le RRQ depuis quelque temps, car les dirigeants prennent plus de risques. On verra si ça durera.

Peut-être que le RRQ devrait faire de même, mais chose certaine, il s’agit d’une décision subjective qui reflète la volonté du RRQ, pas celle de la Caisse, et qui rend donc discutable le jugement qu’on porte sur le travail de la Caisse.

Troisième réserve : l’argument des placements privés. L’étude de HEC Montréal critique l’évaluation de ces placements – source de gros rendements depuis 2014 – de même que l’indice utilisé pour les comparer.

Or, le RPC utilise une méthode d’évaluation comparable à celle de la Caisse. Et nulle part le RPC ne divulgue l’indice de référence utilisé pour calculer la plus-value, contrairement à la Caisse, qui le rend public chaque année.

Qui plus est, le fonds RPC investit bien davantage que la Caisse dans ce genre de placements (33 % du portefeuille contre 20 % à la Caisse), ce qui est de nature à doper son rendement et à le rendre plus incertain, selon les critères des auteurs.

Dans sa réplique à l’étude, la Caisse affirme notamment être « le seul des huit grands fonds au Canada à adhérer aux normes GIPS », qui encadrent la mesure des indices de référence. L’application de ces normes est vérifiée par un auditeur indépendant, et son rapport est publié dans les états financiers de la Caisse4.

Enfin, quatrième réserve : l’impact des rendements sur la rémunération. Contrairement à l’image qu’il véhicule, le RPC, qui est montré en exemple par l’étude, ne se base pas uniquement sur l’indice de référence de l’ensemble de son portefeuille (85 %-15 %) pour donner des bonis à ses hauts dirigeants.

Leur rémunération au rendement est aussi « fondée à 50 % sur le rendement de leur division et sur leur rendement individuel », indique le rapport annuel. Il est aussi fonction du rendement absolu et pas seulement de la plus-value ajoutée. Bref, les bonis des dirigeants y fluctuent au gré des marchés de leur secteur, dont l’indice est parfois gardé secret.

Au bout du compte, les six premiers dirigeants du RPC ont donc empoché 22,5 millions lors du plus récent exercice, soit 43 % de plus que les 15,7 millions à la Caisse de dépôt.

La comparaison des rendements et de la rémunération des gestionnaires de fonds est un exercice fort complexe. J’ai toujours pensé que les financiers touchaient une rémunération beaucoup trop importante par rapport à d’autres professions, compte tenu de leur apport à la société, à la Caisse comme ailleurs. Et qu’il faut donc être exigeant quant aux réels rendements qu’ils procurent aux investisseurs.

À cet égard, le rapport de HEC Montréal est utile au débat, notamment quant à l’utilisation d’un indice passif pour juger de la performance de la Caisse. Mais quel indice choisir (ou quels indices, puisque la Caisse a 48 déposants) ?

Bien qu’intéressant, le rapport aurait mérité d’être plus nuancé, cela dit. Et il ne me convainc pas que le travail des dirigeants de la Caisse est inutile.

1. Consultez l’étude du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal

2. On est plus prudent avec le magot d’un épargnant de 80 ans qu’avec celui d’un jeune de 25 ans, et cette différence de risque joue beaucoup sur le rendement. C’est la même chose pour les caisses de retraite.

3. Les deux font fructifier les cotisations versées par tous les travailleurs (québécois pour le RRQ et canadiens anglais pour le RPC) afin de leur procurer une certaine rente à la retraite. Leur clientèle et leur objectif sont semblables.

4. Consultez la réaction de la Caisse de dépôt et placement du Québec