C’est beau, l’amour, c’est romantique, mais pour toutes sortes de raisons, le nombre de célibataires ne cesse de croître. Au pays, 15 % des personnes vivent seules. La proportion est encore plus élevée au Québec, où elle atteint 19 %, le record national. La démographie a bien changé, mais le Régime de rentes du Québec (RRQ) ne s’y est pas assez adapté, déplore Sylvie, une célibataire de 50 ans.

« En tant que personne vivant seule, je ne peux pas nommer de bénéficiaire pour l’argent du RRQ auquel j’ai contribué toute ma vie. À mon décès, ce montant retournera dans le système pour favoriser le couple, cet état social considéré dans la loi comme supérieur, mais pour qui le coût de la vie est largement moindre. »

Contrairement à Sylvie, les personnes mariées et les conjoints de fait ont tous un bénéficiaire par défaut : leur tendre moitié, qui touchera, sauf exception, la rente de conjoint survivant.

La quinquagénaire m’explique qu’elle aimerait, elle aussi, pouvoir assurer une certaine sécurité financière à un proche. Elle pense surtout à son frère, qui en arrache. Mais la loi ne le lui permet pas. « Notre lien filial est inférieur au sacro-saint couple », dénonce-t-elle.

À leur mort, les célibataires subissent-ils une certaine discrimination basée sur leur état matrimonial ? La question mérite d’être posée, surtout dans le contexte où le nombre de ménages d’une personne ne cesse de grimper.

Supposons que Sylvie a le malheur de mourir sans conjoint deux ou trois ans après sa retraite. La très vaste majorité de ses cotisations demeureraient effectivement dans le régime au bénéfice des autres cotisants, en couple ou pas, faut-il le préciser. Au fil des ans, son sentiment d’injustice devrait toutefois s’atténuer, voire disparaître. Si elle meurt à 90 ans, le RRQ lui aura versé une rente indexée pendant des décennies.

Les personnes en couple, pour leur part, peuvent s’attendre à ce que leur amoureux obtienne un montant du RRQ. Ce n’est pas automatique, puisque ceux qui touchent déjà la rente maximale n’ont droit à rien. Cette situation demeure toutefois rarissime. En 2020, par exemple, seulement 2,8 % des nouveaux bénéficiaires touchaient la rente maximale.

Ce qu’il faut garder en tête, c’est que la rente de conjoint survivant a été créée en 1966 pour éviter aux femmes qui demeuraient à la maison de tomber dans la pauvreté au décès de leur mari. On l’appelait d’ailleurs « la rente de veuve ». Les temps ont bien changé et le régime s’est adapté, permettant d’abord aux hommes de bénéficier du montant (1975). Les conjoints de fait y ont ensuite eu droit (1985), suivis des conjoints de même sexe (1999).

Mais encore aujourd’hui, la rente de conjoint survivant est une « assurance » qui vise à protéger financièrement les personnes ayant une dépendance financière à l’intérieur d’un couple, affirme le RRQ. D’ailleurs, le montant varie en fonction de l’âge du survivant, du montant de rente déjà reçu et de la présence ou non d’enfants à charge. Si l’idée était plutôt de remettre aux héritiers les cotisations du défunt, le profil du veuf ou de la veuve n’aurait aucun impact sur le versement mensuel.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Qu’on soit d’accord ou non avec l’objectif de cette « rente-assurance » qui entraîne évidemment des coûts pour l’ensemble les cotisants, il y a sans doute lieu de se demander si elle est encore pertinente au moment où le marché du travail accueille tout le monde.

D’autres régimes de retraite dans lesquels les risques sont mutualisés (à prestations déterminées, à prestations cibles, par financement salarial) prennent déjà en considération les besoins variés des participants et tentent de réduire les iniquités.

Lorsqu’une rente réversible au conjoint de 60 % est offerte, par exemple, « plusieurs régimes prévoient que ce sera financé par une réduction de la rente du participant », rapporte Simon Campagnoli, actuaire et vice-président de la firme SAI, spécialiste des régimes de retraite. Ainsi, les autres participants, dont les célibataires, ne sont pas désavantagés. Mais ce n’est pas systématique.

Beaucoup de régimes prévoient aussi une « garantie 10 ans » qui ne fait pas distinction entre les célibataires et les personnes en couple. Le régime verse aux héritiers choisis la rente promise pendant au maximum une décennie après la retraite. Supposons que vous prenez votre retraite à 65 ans, touchez une rente annuelle de 20 000 $ et mourez à 70 ans. Votre bénéficiaire touchera l’équivalent de cinq ans de rente, soit 100 000 $. Un célibataire peut généralement renoncer à cette garantie afin d’obtenir une rente plus élevée.

Dans le cas des régimes de retraite individuels (à cotisations déterminées, RVER, REER collectif), le statut matrimonial ne change rien au montant détenu dans le compte et disponible pour les héritiers. Le conjoint bénéficie toutefois d’un avantage fiscal de taille : la somme reçue ne sera pas assujettie à l’impôt.

Sylvie cotise justement à ce type de régime chez son employeur… rien pour apaiser son sentiment d’iniquité.

Personne n’a parlé des célibataires lors des plus récentes consultations publiques sur le RRQ, l’hiver dernier. Mais rien n’empêche que le sujet soit à l’ordre du jour la prochaine fois, surtout si 19 % de la population le réclame.

En savoir plus
  • 2 001 078
    Nombre de bénéficiaires d’une rente de retraite RRQ (au 31 décembre 2021)
    377 071
    Nombre de bénéficiaires de la rente de conjoint survivant (au 31 décembre 2020). De ce nombre, 302 527 sont des femmes, et 74 544, des hommes.
    Source : RRQ