Cette semaine, l’entrepreneur Dominic Gagnon, président et cofondateur de Connect&GO, entreprise spécialisée dans les bracelets intelligents, aussi co-auteur du livre Et si l’entrepreneuriat rendait fou ?, répond à nos questions sur le leadership.

Est-ce que l’entrepreneuriat rend fou ?

Oui. J’ai toujours dit que devenir entrepreneur n’était pas un choix pour moi, mais une obligation. Je n’ai jamais « fitté » nulle part, parce que j’ai un trouble d’opposition et de la difficulté avec les règles. Ma neurodivergence m’a obligé à être entrepreneur. Le seul endroit où je me sens bien, c’est quand je suis en train de créer quelque chose. Je me suis demandé : est-ce que je suis devenu entrepreneur parce que j’étais fou ou je suis devenu fou parce que j’étais entrepreneur ? La réponse, c’est les deux. Les statistiques sont d’ailleurs alarmantes. Il y a six fois plus de TDAH, quatre fois plus de bipolaires, quatre fois plus de troubles de toxicomanie. Le fait d’être différent va te pousser à être entrepreneur, mais l’entrepreneuriat va te causer une autre longue liste de défis de santé mentale. La deuxième cause de mortalité chez les entrepreneurs, c’est le suicide.

Pourquoi le Québec a-t-il besoin d’un livre sur ce sujet ?

Parce que quand j’ai fait l’article avec toi, dans La Presse, pendant la pandémie1, quand mon entreprise n’allait pas bien, quand je n’allais pas bien, j’ai reçu un grand nombre de messages d’entrepreneurs qui se sont confiés. Ils me disaient : je ne peux pas en parler à personne, mais que toi, tu en parles, ça fait du bien. Quand l’article est sorti, j’ai moi-même eu peur. Je venais de perdre tous mes revenus, je venais de convaincre mon investisseur de réinvestir dans l’entreprise, et je me suis dit : il va penser quoi de moi ? Je suis en train de dire que je pleure dans l’auto avant de rentrer au bureau… Finalement, ç’a été positif, parce que pour la première fois, je ne me suis pas senti seul. Comme entrepreneur, on se sent toujours seul. Mon équipe m’a repris. L’équipe a dit : on ne peut pas le laisser tomber et laisser tomber. Ç’a été un beau moment de leadership.

Dans le livre, les participants racontent leur dépression, leur anxiété, leur tentative de suicide, leur alcoolisme et leur toxicomanie. Comment en viennent-ils à s’automédicamenter ?

Je les trouve extrêmement courageux de raconter des histoires comme ça alors qu’ils sont tous encore entrepreneurs. Mais ça va aider. En entrepreneuriat, la consommation d’alcool et de drogue est énorme. Premièrement, on s’automédicamente. Il y a beaucoup de gens TDAH pas traités et non diagnostiqués. On fait beaucoup de 5 à 7, on est habitués à cette vie de sorties. La semaine dernière, j’en ai eu trois. Je dîne aussi avec des clients. Avant, les bouteilles de vin étaient valorisées. Là, je sens qu’il y a moins de tabous à ne pas prendre la bouteille. Mais il y a quand même une pression comme entrepreneur quand tu es avec des clients qui boivent du vin d’en boire avec eux. Durant la pandémie, ma femme m’a retrouvé alors que je venais de boire un 26 onces de scotch tout seul. Parce que ma tête me disait : tu vas tout perdre. Ce sont des démons que tu as dans la tête et la meilleure façon de les faire taire sur le coup, c’est de se droguer ou de boire de l’alcool. Il y a des entrepreneurs qui ont fait du crack. D’autres qui prennent de la cocaïne. Ils s’automédicamentent. Ils cherchent à pallier un problème. La cocaïne va pallier le problème de « je ne dors pas, j’ai besoin de travailler plus et je me donne une dose d’énergie supplémentaire ». Mais ils vont développer une dépendance et leur entreprise va chuter en même temps que leur santé mentale.

Comment a-t-on convaincu les entrepreneurs de témoigner ?

Il y a des entrepreneurs que j’avais ciblés, des gens connus, des stars, qui sont TDAH, doués ou bipolaires. Je leur ai dit : ce serait vraiment important que tu participes. Et ils n’ont pas voulu. Ils voulaient préserver leur image dans ce star-système là. Pour moi, ç’a été une déception de voir que des gens qui auraient eu cette chance de changer les choses ne l’ont pas fait. J’ai mis aussi un message sur LinkedIn, en demandant s’il y avait des entrepreneurs intéressés. Finalement, j’ai eu plus de gens que de possibilités. Par contre, il y a des entrepreneurs de qui on a écrit l’histoire, qui l’ont lue et qui ont dit : je ne suis pas capable, je ne suis pas prêt à ce que cette histoire-là sorte. Pour moi, ç’a été une petite déception.

Comment préserve-t-on sa santé mentale quand on est entrepreneur ?

Dormir. Même si le sommeil est mal vu. Il y a beaucoup d’entrepreneurs comme Elon Musk qui vont s’amuser à dire : moi, je ne dors que trois heures par nuit. Moi-même, je suis insomniaque et je découvre à quel point dormir est crucial. On ne prend que de mauvaises décisions quand on est fatigué. Je pense que l’entrepreneur doit commencer à penser à lui en tant qu’entité et pas juste à son entreprise. Un entrepreneur en santé, mentale et physique, va réussir à relever les défis de son entreprise. Quand une crise économique arrive et que tu es en extrême surpoids, que tu ne pratiques aucun sport, que tu dors mal, que tu n’as jamais consulté de psychologue et qu’il y a des mois d’attente, tu te sentiras très seul. Plus tu t’y prends tôt sur la santé mentale, mieux c’est.

1. Consultez le dossier sur la santé mentale des entrepreneurs « Entrepreneuriat : du silence à la résilience »
Et si l’entrepreneuriat rendait fou ?

Et si l’entrepreneuriat rendait fou ?

Les Éditions de l’Homme