(San Francisco) « Je suis sur le point d’être licenciée », dit Folashade Ade-Banjo à la caméra en positionnant son téléphone, « et vous allez voir ça ».

Dans une vidéo TikTok de cinq minutes, en janvier, on voit Mme Ade-Banjo, 30 ans, employée en marketing d’un géant techno à Los Angeles, assise à son bureau et fixant son ordinateur d’un air troublé. Elle hoche la tête au début de l’appel. Puis elle se fait licencier. La vidéo a été vue un demi-million de fois en quelques heures et a suscité des milliers de commentaires.

« Une de mes résolutions de 2024 est d’être beaucoup plus ouverte et honnête sur mes enjeux personnels et donc de montrer des parties de ma vie qui ne sont peut-être pas aussi glamour », a déclaré Mme Ade-Banjo au New York Times.

Vague de licenciements

Tout le secteur techno traverse une période de licenciements et certains travailleurs renvoyés ont témoigné sur les médias sociaux de leurs expériences : bon nombre de ces vidéos sont devenues virales. On les voit pleurer en parlant avec les ressources humaines ou on les suit durant leur routine quotidienne avant un rendez-vous apparu à l’agenda et qui risque de déboucher sur leur licenciement.

Cela s’inscrit dans une tendance marquée chez la génération Z et les milléniaux, qui discutent sur les médias sociaux de tous les aspects de leur vie, de la déception sur Tinder aux révélations profondément personnelles. Leurs vidéos sur LinkedIn et X – montrant leur licenciement ou décrivant leur quête d’un nouvel emploi – jettent une lumière nouvelle sur un évènement privé que bien des gens préfèrent dissimuler.

Il n’y a plus de frontière entre les sphères personnelle et professionnelle.

Sandra Sucher, économiste de Harvard qui étudie les licenciements

Certains disent que leur vidéo les aide à vivre les émotions liées à la perte de leur emploi. Joni Bonnemort, 38 ans, de Salt Lake City, s’est filmée en train de pleurer quand son poste de marketing a été aboli en avril 2023 par une société d’amélioration de cote de crédit. Elle pensait n’envoyer la vidéo qu’à sa famille, mais elle l’a mise sur TikTok après avoir découvert que l’entreprise avait versé des primes au personnel restant peu après les licenciements. Sa vidéo a généré plus de 1,4 million de visionnements et de commentaires de soutien.

« Ça ne se voulait ni amer ni une dénonciation, mais en même temps, c’est mon expérience », a déclaré Mme Bonnemort. « C’est arrivé à tant de gens. »

Vanessa Burbano, professeure à la Columbia Business School, qui étudie l’effet des pratiques d’affaires sur le comportement des employés, dit que le télétravail a enhardi les gens à s’exprimer en ligne : « Cela a fondamentalement transformé la relation employés-employeur. »

Sa dernière journée avant le chômage

Après avoir été convoquée en janvier par un nouveau responsable, Mickella Simone Miller, alors cheffe de projet à Salt Lake City, a filmé sa journée de télétravail : on la voit notamment se servir un café dans une tasse sur laquelle est écrit : « Le monde s’écroule autour de nous, et je meurs en moi. » La vidéo la montre finalement en train de se faire dire que son poste est aboli.

Une vidéo thérapeutique, dit-elle, qui lui a aussi valu une trentaine d’invitations à postuler – bien qu’elle n’ait pas encore trouvé de nouvel emploi.

Les entreprises doivent comprendre que tout peut être enregistré et partagé, en cette époque où les gens mettent tout en ligne, a déclaré Lindsey Pollack, autrice d’ouvrages sur les lieux de travail multigénérationnels. Selon elle, publier des expériences de licenciement est une bonne chose et ne nuira pas à la recherche d’un nouvel emploi.

Dans un cas, Matthew Prince, PDG de la société de cybersécurité Cloudflare, a réagi sur X à une vidéo TikTok de neuf minutes montrant un licenciement. Il a défendu la décision de licencier l’employé, mais a indiqué que l’entreprise aurait dû être « plus bienveillante et plus humaine ».

Brittany Pietsch, l’ex-employée de Cloudflare qui a publié la vidéo, affirme avoir reçu plus de 10 000 messages LinkedIn, dont de nombreux provenant de recruteurs.

Je n’ai aucun regret. J’ai simplement été transparente et montré une conversation qui n’était pas scénarisée.

Brittany Pietsch, ex-salariée chez Cloudflare

Si ces vidéos risquent peu de nuire aux perspectives d’emploi, les personnes qui les publient doivent accepter la notoriété qui peut en découler, préviennent les experts.

Mme Ade-Banjo a rendu sa vidéo privée peu après l’avoir mise en ligne, pour protéger l’identité des gestionnaires qui l’ont licenciée. Son but était simplement de mettre en lumière et de déstigmatiser le processus, explique-t-elle.

« Quand on passe par là, c’est bien de savoir qu’on n’est pas seul. »

Cet article a été publié dans le New York Times.

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