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En 1824, un article de Joseph Fourier présente pour la première fois un phénomène physique qu’il appellera « effet de serre ». Deux siècles plus tard, nous sommes aux prises avec les effets de ce phénomène : bouleversements climatiques, incendies, famines, épidémies, migrations, etc.

Le gouvernement du Québec a proposé un ambitieux plan de carboneutralité pour 2050. La réalisation de ce plan pose d’énormes enjeux technologiques, car il repose sur le remplacement des énergies fossiles par des sources d’énergie carboneutres, mais plus coûteuses et difficiles à produire.

Selon le plan stratégique 2022-2026 présenté par Hydro-Québec, le besoin de production annuel du Québec sera de 100 térawattheures additionnels d’énergie électrique si la province veut atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Il s’agit donc d’une augmentation importante, considérant l’absence d’un endroit se prêtant à une telle production d’énergie hydroélectrique sur le territoire du Québec. Le PDG d’Hydro-Québec, Michael Sabia, s’est dit ouvert à l’analyse de plusieurs options pour produire ces mégawatts additionnels, y compris le recours à l’énergie nucléaire.

Un triple défi pour le Québec

Le recours à l’énergie nucléaire est nécessaire pour satisfaire une part importante des objectifs de production fixés par Hydro-Québec. Pour les besoins de la discussion, fixons cette production nucléaire à environ 4000 MW, ce qui représente le tiers des nouveaux besoins avec un horizon pour 2050.

Hydro-Québec ne sera pas le seul producteur d’énergie à envisager une telle production d’énergie nucléaire : de nombreux pays européens et asiatiques arrivent aux mêmes conclusions et cette valeur est comparable à deux des nouveaux projets annoncés récemment en Ontario qui sont de 4800 MW et 1200 MW, sur des emplacements à Bruce et à Darlington respectivement.

Le défi pour Hydro-Québec sera triple :

1. choisir les bonnes technologies pour produire des milliers de mégawatts nucléaires ;

2. sécuriser les chaînes d’approvisionnement dans un contexte international qui va devenir de plus en plus compétitif ;

3. favoriser la formation de personnel hautement qualifié.

Les choix technologiques sont fondamentaux. De nombreuses options de production nucléaire existent sur le marché (petits ou gros réacteurs modulaires, filières diverses, réacteurs de deuxième, troisième ou quatrième génération, etc.). Chacune de ces options répond à des besoins et a des contraintes qui lui sont propres. Nous croyons qu’Hydro-Québec devrait s’appuyer sur l’expertise des ingénieurs québécois et canadiens et sur nos universités pour élaborer sa stratégie. Plusieurs des ingénieurs impliqués dans l’exploitation de Gentilly-2 sont toujours en activité au Québec, au Canada et sur le plan mondial, certains d’entre eux travaillant toujours au sein d’Hydro-Québec.

La deuxième préoccupation est relative à la sécurisation des chaînes d’approvisionnement. La construction modulaire de réacteurs nucléaires, qui est utilisée autant pour les petits que les gros réacteurs, requiert la fabrication délocalisée d’équipements (appelés modules) spécialisés. Pour le nucléaire, on doit ajouter l’approvisionnement en uranium pour la durée de l’exploitation et la mise en place de stratégies de revalorisation du combustible usé. Le nombre de fournisseurs est forcément limité et le nombre de clients potentiels ira en augmentant.

Depuis les années 1970, l’Institut de génie nucléaire (IGN) de Polytechnique Montréal a formé la quasi-totalité du personnel hautement qualifié qui travaille au Québec dans le domaine de l’ingénierie nucléaire. L’IGN est toujours actif, même si l’Institut a dû réorienter en partie ses activités vers d’autres marchés depuis 10 ans.

L’IGN a aussi développé des logiciels et applications dans le secteur nucléaire qui sont à la fine pointe de la technologie et sont utilisés par les développeurs des nouvelles filières de petits réacteurs modulaires. Ces expertises contribuent à la formation de personnel hautement qualifié qui fait ensuite carrière dans les entreprises d’ingénierie nucléaire au Canada et ici au Québec. L’IGN souhaite poursuivre sa mission et soutenir l’industrie nucléaire en adéquation avec les besoins du Québec.

En conclusion, nous croyons que le recours à l’énergie nucléaire est nécessaire pour atteindre la carboneutralité au Québec, mais doit être envisagé avec minutie et en tirant profit des spécialistes du domaine présents au Québec, tout en veillant au développement de nouvelles compétences. La procrastination n’est pas une option et il faudra maintenant évaluer et sélectionner les meilleures stratégies pour y parvenir.

Les signataires sont des professeurs actifs du département de génie mécanique à Polytechnique Montréal et des diplômés de Polytechnique Montréal actifs ou précédemment actifs dans le domaine de l’énergie nucléaire.

Auteurs

Serge Chapados (M. Ing.), Alain Hébert (Prof., D. Ing.), Guy Hotte (M. Sc. A, P. Eng., président de la Société nucléaire canadienne 2022-2023), Guy Marleau (Prof., Ph. D.), Marc-Antoine Petrilli (M. Ing.)

Cosignataires

Benoit Arsenault (M. Sc. A.), Alain Batailly (Prof., Ph. D.), Michel Beaudet (Ph. D.), Mathieu Beaudoin (M. Ing.), Cédric Begin (Prof., Ph. D.), Éric Boisclair (Tech.), Rachid Boukhili (Prof., Ph. D.), Richard Chambon (Ph. D.), Morgan Brown (P. Eng., M. Eng.), Saïd El-Hajjami (M. Sc. A.), Jana Ene (M. Sc. A.), Majid Fassi-Fehri (M. Sc. A., MBA), Réal Forté (M. Ing.), René Girard (Ph. D.), Frederick Gosselin (Prof., Ph. D.), Pascal Hernu (M. Ing.), Solange Laberge (M. Eng.), Éric Laurendeau (Prof., Ph. D.), Noreddine Mesmous (P. Eng.), Rida Milany (Ph. D.), Richard Moffett (Ing.), Minh Nguyen (M. Ing.), David Novog (Prof., Ph. D.), René Pageau (M. Ing.), Gilbert Parent (M. Sc. A.), Denis Paris (M. Ing.), Céline Poirier (B. Ing.), Michel Rheaume (Ing.), Benjamin Rouben (Ph. D.), Gilles Sabourin (M. Ing.), Emmanuel St-Aubin (Ph. D.), Étienne Saloux (Ph. D.), Raphaël Schirrer (M. Ing.), Kaveh Siamak (Ph. D.), Jérôme Vettel (Prof., Ph. D.), David Vidal (Prof., Ph. D.), Jeremy Whitlock (M. Eng., Ph. D., FCNS), Jean Wilson (M. Sc.), Ramdane Younsi (Prof., Ph. D.)

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