(Ottawa) Des experts prétendent qu’il est temps que le Canada se rapproche de l’Asie du Sud-Est alors que ses relations avec les deux poids lourds de l’Asie, la Chine et l’Inde, se refroidissent.

Certains d’entre eux ajoutent que le Canada a un avantage en tant que puissance moyenne auprès des grands investisseurs institutionnels.

Cet appel intervient après des années de tensions avec la Chine, notamment à cause de la détention de deux Canadiens plus de 1000 jours, et des frictions plus récentes avec l’Inde après qu’Ottawa ait accusé son gouvernement de complicité dans un homicide commis en Colombie-Britannique.

Wayne Farmer, qui dirige le Conseil commercial Canada-ANASE, rappelle que le Canada est présentement bel et bien dans une situation difficile avec la Chine et l’Inde.

Le mois prochain, la ministre canadienne du Commerce international, Mary Ng, dirigera une mission commerciale en Malaisie et au Vietnam et une autre est prévue plus tard cette année en Indonésie et aux Philippines. Ces voyages s’inscrivent dans le cadre des efforts du Canada pour stimuler le commerce avec la plupart des 10 pays qui composent l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est.

Le bloc de l’ANASE et le Canada se sont engagés à conclure un accord commercial d’ici la fin de 2025 et l’Indonésie a également accepté de signer un accord avec le Canada dès cette année. Cela fait partie de la stratégie indopacifique du Canada, lancée par le gouvernement libéral en 2022 dans le but de tisser des liens plus étroits avec des pays d’Asie autres que la Chine, considérant Pékin comme une puissance perturbatrice qui porte atteinte aux intérêts canadiens.

Le mois dernier, la Chine et le Canada ont tous deux déclaré qu’ils espéraient travailler davantage ensemble, mais il existe de sérieuses différences dans la façon dont ils envisagent la reprise des relations.

D’autre part, la stratégie envisageait de doubler les liens avec le Japon et la Corée du Sud tout en mettant l’accent sur des liens plus étroits avec l’Inde. Mais les relations avec New Delhi se sont profondément refroidies suite à l’implication présumée de l’Inde dans l’assassinat d’un dirigeant sikh canadien l’an dernier, au point où l’Inde a temporairement gelé les demandes de visa des Canadiens et Ottawa a rappelé plus de 40 diplomates après que l’Inde ait menacé de les priver de leur immunité diplomatique.

La Banque asiatique de développement prévoit une croissance économique relativement forte en Asie du Sud-Est, à un taux de 4,7 %, ce qui place les pays de la région devant la Chine, mais derrière le boom que connaît actuellement l’Inde.

Dewi Fortuna Anwar, de l’Agence nationale indonésienne de recherche et d’innovation, pense que le Canada jouit d’une marque forte dans la région, en grande partie grâce à des projets de développement antérieurs, mais que son engagement en Asie du Sud-Est a été intermittent jusqu’ici. « Le Canada n’a jamais été absent, mais on a l’impression qu’il n’a pas été aussi visible au cours des dernières années », a-t-elle affirmé récemment lors d’un panel.

« La région de l’ANASE sera très accueillante envers le Canada s’il tente de jouer à nouveau un rôle actif. »

Wayne Farmer signale que le Canada est sur le point de bénéficier économiquement des accords commerciaux et de ses missions économiques. Mais il ajoute que le Canada pourrait ne pas réussir à profiter d’un boom des infrastructures dans une région avide de financements pour construire des ponts, des ports et des routes, souvent par le biais de partenariats public-privé, car la stratégie indopacifique canadienne prévoit 750 millions pour de tels investissements, ce que M. Farmer décrit comme une somme maigre.

« Il faut consacrer des sommes importantes. Mais il n’est pas nécessaire que tout vienne du gouvernement », précise-t-il.

L’automne dernier, la corporation Alberta Investment Management a ouvert son premier bureau asiatique à Singapour, où le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario et la Caisse de dépôt et d’investissement du Québec (CPDQ) ont déjà des bureaux.

M. Farmer est convaincu que les plus grands investisseurs institutionnels du Canada pourraient se développer dans des pays comme le Vietnam, l’Indonésie et les Philippines, en particulier si Ottawa propose d’absorber les risques des investisseurs par l’intermédiaire d’agences comme Exportation et développement Canada. « Aider à réduire les risques et encourager ces investisseurs à innover dans des projets viables là-bas – c’est utile alors que les budgets gouvernementaux sont limités ».

Wayne Farmer suggère aussi que le Canada exporte du gaz naturel liquéfié vers des pays qui utilisent encore le pétrole et le charbon comme sources d’énergie, comme les Philippines et Singapour. Cela nécessiterait probablement une expansion au-delà du premier terminal d’exportation de GNL du Canada, qui est presque terminé en Colombie-Britannique.

Cela dépendrait également de l’acceptation par Ottawa d’une approche réaliste, selon lui, en ce qui concerne les pays qui cherchent à sortir leurs populations de la pauvreté tout en atteignant éventuellement les objectifs climatiques internationaux.

À plus long terme, Wayne Farmer croit que ces pays pourraient accueillir favorablement la technologie nucléaire canadienne, qui présente l’avantage supplémentaire de s’appuyer sur des réacteurs alimentés par des formes d’uranium qui ne peuvent généralement pas être utilisées pour créer des armes.

Une ancienne ambassadrice du Canada au Vietnam, Deanna Horton, ajoute qu’Ottawa pourrait également trouver une cause commune avec les pays de la région en travaillant ensemble pour repousser la pression des États plus puissants dans le domaine du commerce ou des chaînes d’approvisionnement. « La coercition économique opère en dehors de l’ordre fondé sur des règles, et elle est exercée par les superpuissances. Et ce sont les pays de l’ASEAN qui en souffrent — et le Canada en a souffert, tant de la part des États-Unis que de la Chine », a-t-elle déclaré lors d’une conférence organisée par l’Institut pour la paix et la diplomatie en décembre. « Le Canada pourrait jouer un rôle en aidant à créer un ordre fondé sur des règles qui profiterait non seulement aux superpuissances, mais aussi à tous ceux qui dépendent d’elles. »

Dewi Fortuna Anwar signale quant à elle que son pays, l’Indonésie, accueillerait favorablement une coalition de puissances moyennes avec le Canada qui pousserait les pays plus puissants à respecter l’État de droit.

Lors de cette conférence de décembre, Jeff Nankivell, président le chef de la Fondation Asie-Pacifique du Canada, a invité le Parti conservateur (PCC) à signaler son intention de maintenir les principaux éléments de la stratégie indopacifique s’il prend le pouvoir aux prochaines élections fédérales, ce qui contribuerait, croit-il, à cimenter les relations avec les pays d’Asie. « Si vous envisagez d’entrer au gouvernement et que vous pensez que c’est généralement quelque chose que vous ne voulez pas torpiller, ce serait certainement bien d’envoyer des signaux positifs au reste du monde », a-t-il expliqué.