Un rapport résultant du plus important exercice de consultation sur l’intelligence artificielle au Québec appelle le gouvernement provincial à entamer « sans tarder » les travaux d’une nouvelle loi-cadre destinée à encadrer le développement et le déploiement responsables de l’IA dans la société.

C’est le constat du rapport de 142 pages intitulé Prêt pour l’IA rendu public lundi matin par Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie, Éric Caire, ministre du Numérique, et Luc Sirois, innovateur en chef du Québec et directeur général du Conseil de l’innovation.

« Il est impératif d’avoir l’intelligence artificielle, mais encadrée, arrimée à nos besoins, avec une gouvernance digne de confiance, a dit M. Fitzgibbon. Le Québec est l’un des chefs de file mondiaux en matière d’intelligence artificielle. On veut un cadre, mais un cadre qui ne freine pas l’innovation, la création de richesse socio-économique. »

Quelque 250 experts et membres de la société civile ont participé aux travaux menant à la rédaction du rapport sur l’IA, qui recommande de confier l’élaboration des règlements liés à la mise en œuvre d’une loi-cadre à « une autorité indépendante du pouvoir exécutif », de manière à assurer son indépendance.

En entrevue avec La Presse en marge de la présentation, Luc Sirois note avoir été surpris par la qualité des échanges et des réactions dans les travaux, notamment avec les syndicats. « C’est remarquable. Dans les assemblées devant des travailleurs, je m’attendais à des expressions émotives sur les menaces de l’IA. Mais les travailleurs avaient une réflexion très nuancée. Ils étaient plus loin que ça. »

Principe de transparence

L’un des grands thèmes identifiés par le rapport est l’importance du « principe de transparence » en matière d’IA. « Si les citoyens interagissent avec l’IA, ils veulent le savoir, dit M. Sirois. Quand on contacte un service à la clientèle, un message nous dit que les échanges peuvent être enregistrés. Donc, ça pourrait être un avertissement de cette nature, avec le choix de parler à un humain si on le désire. »

Luc Sirois note que la loi-cadre devra aussi tenir compte de l’impact de l’IA sur le monde de la culture. « On sait que beaucoup d’artistes, beaucoup de créateurs, gagnent leur vie avec toutes sortes de métiers à forfait. Ils font de l’illustration, de la traduction, de la rédaction… Donc, si l’IA peut le faire, on se retrouve avec des artistes qui n’ont plus les revenus pour leur permettre de produire leurs œuvres uniques qui marquent la société. Le modèle d’affaires change, et ça a des répercussions qu’on n’avait pas anticipées. Il faut mettre des programmes en place pour protéger nos artistes. Si on ne fait rien, ça va être menacé. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Luc Sirois, innovateur en chef du Québec et directeur général du Conseil de l’innovation

Le rapport parle aussi de l’importance de former les jeunes dès le niveau primaire à interagir avec l’IA, de même qu’à développer leur sens critique par rapport à la désinformation qui pourrait leur être présentée par l’IA.

« La question des fake news est l’un des sujets les plus discutés, dit M. Sirois. Il y a un vrai danger, notamment par le ciblage de l’IA, qui peut interagir avec des citoyens. Quand on pense aux dangers des médias sociaux, ils sont exacerbés par l’IA. »

La CSN veut mettre les travailleurs au cœur de la loi

Lundi, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) a réagi de manière positive aux recommandations du rapport, tout en indiquant qu’une loi-cadre pour encadrer l’IA devra tenir compte des besoins des travailleurs.

« La CSN salue, de manière générale, les recommandations contenues dans le rapport […], mais réclame que la société civile – nommément les organisations syndicales et les travailleuses et travailleurs qu’elles représentent – soit au cœur de la démarche menant à l’adoption, dans les meilleurs délais, d’une loi-cadre en matière d’IA et à son application éventuelle dans les milieux de travail », a signalé le syndicat par voie de communiqué.

Le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) a, quant à lui, observé « un décalage » entre les constats découlant de la consultation et les pratiques gouvernementales actuelles.

« Malheureusement, il y a toujours une certaine opacité autour de tout projet d’intégration de l’IA dans l’administration publique », a déploré Christian Daigle, président général du SFPQ, dans un communiqué. « Les ministères et organismes auraient intérêt à consulter davantage pour tout changement technologique. Lorsqu’on veut à tout prix valoriser l’efficience au détriment de la qualité des services offerts, ce sont les citoyennes et les citoyens qui en font les frais. »

Consultez le rapport Prêt pour l’IA : répondre au défi du développement et du déploiement responsables de l’IA au Québec