(Stockholm) Les techniciens de Tesla qui ont quitté leur emploi en Suède affirment qu’ils soutiennent toujours la mission de l’entreprise américaine et de son PDG. Mais ils veulent aussi que Tesla accepte la « manière suédoise » de faire des affaires.

Ils l’appellent le modèle suédois, ce mode de vie qui définit l’économie du pays depuis des décennies. Au cœur de ce modèle se trouve la coopération entre employeurs et employés, qui permet aux deux parties de recevoir des bénéfices de l’entreprise.

Au lieu de cela, quatre techniciens qui ont quitté leur travail en octobre ont déclaré avoir été soumis à ce qu’ils décrivent comme un « modèle américain typique » : des semaines de travail de six jours, des heures supplémentaires inévitables et un système d’évaluation menant aux promotions qui manque de clarté.

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« Il faut travailler, travailler, travailler », a déclaré Janis Kuzma, l’un des techniciens en grève.

Le syndicat représentant les travailleurs de Tesla, IF Metall, ne veut pas dire combien de techniciens ont débrayé, sur les 130 que compte l’entreprise. Il pourrait n’y en avoir que quelques dizaines.

Les 10 centres de service de l’entreprise restent ouverts. La grève entre dans son troisième mois et a un impact considérable sur la région nordique. Au moins 15 autres syndicats ont pris des mesures pour tenter d’obliger Tesla à négocier une convention collective fixant des salaires et des avantages qui reflètent les normes du secteur en Suède. Daniel Ives, analyste chez Wedbush Securities, a averti que le conflit était en train de devenir « une question importante pour Tesla et son PDG, Elon Musk, concernant les syndicats à l’échelle mondiale ».

Les sondages montrent qu’une majorité de Suédois soutient la grève, largement considérée comme une défense du mode de fonctionnement du pays. En Suède, neuf personnes sur dix travaillent dans le cadre d’un accord de travail et les grèves sont relativement rares. Alors que le débrayage se poursuit, des questions sont soulevées quant à savoir si la dépendance de la Suède à l’égard des accords patronaux-syndicaux prive les entreprises de flexibilité et d’agilité.

Les réactions de certains des quelque 50 000 propriétaires de Tesla dans le pays témoignent de ce clivage : ils considèrent le débrayage comme un coup de force de la part d’un syndicat riche et politiquement influent.

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Elon Musk s’est opposé aux efforts de syndicalisation de ses 127 000 employés dans le monde.

L’entreprise a décliné plusieurs demandes de commentaires. Dans un centre de service à Malmö ce mois-ci, des travailleurs portant des chemises Tesla étaient occupés à faire entrer et sortir des voitures. Les grévistes ont déclaré que certains des employés semblaient avoir été embauchés récemment.

Les syndicats du Danemark, de la Norvège et de la Finlande, ainsi que de la Suède, se sont ralliés à IF Metall. Les débardeurs ont cessé de décharger les Tesla arrivant par bateau, les membres des syndicats des ateliers de réparation indépendants ont cessé de réparer les Tesla, les postiers ont cessé de distribuer le courrier de Tesla, y compris les plaques d’immatriculation, et les électriciens se sont engagés à ne plus réparer les stations de recharge de Tesla.

Il est peut-être trop tôt pour savoir dans quelle mesure ces actions nuisent à l’entreprise. Le modèle Y de Tesla est en passe de devenir le véhicule le plus populaire en Suède en 2023, avec plus de 14 000 voitures vendues jusqu’en octobre, selon les statistiques officielles.

L’entreprise semble également avoir trouvé une échappatoire pour contourner le blocus des postiers en commandant des plaques d’immatriculation qui seront envoyées directement aux clients.

Les grèves de solidarité ont semé la discorde. Certaines entreprises qui ne sont pas directement concernées par le débrayage, comme les ateliers de réparation automobile indépendants, ont perdu des clients parce qu’elles ont conclu avec IF Metall des conventions collectives qui les obligent à refuser les commandes liées à Tesla. Selon la loi suédoise, si un syndicat appelle à une grève de solidarité, ses membres doivent s’y rallier.

Un conflit qui pourrait s’étirer

Aucune des deux parties n’a indiqué qu’elle était prête à faire marche arrière. IF Metall, qui représente les travailleurs d’autres industries lourdes, a constitué son trésor de guerre au fil des décennies. Il offre aux grévistes 130 % de leur salaire.

Tesla a également les poches pleines – l’entreprise est évaluée à environ 817 milliards de dollars – et affirme offrir des salaires et des avantages équivalents ou supérieurs à ceux prévus par une convention collective, y compris des options d’achat d’actions en guise d’incitation lucrative. L’entreprise a démontré sa volonté de se battre en poursuivant l’agence suédoise chargée de l’immatriculation des véhicules et la société postale après que ses plaques d’immatriculation ont été bloquées. Les poursuites, engagées en novembre, se poursuivent.

En Suède, ce sont les négociations collectives, et non la loi, qui régissent les conditions de travail. Le pays n’a pas de salaire minimum légal.

Les grèves sont rares, car une fois qu’un accord de travail est entré en vigueur, le syndicat ne peut pas en déclencher une. Cette garantie de paix a contribué à maintenir le nombre de jours de grève en Suède à l’un des niveaux les plus bas d’Europe : un peu plus de 2 jours de travail par an perdus en raison de grèves et de lock-out pour 1000 salariés entre 2010 et 2019, contre 55 en Norvège et 128 en France, selon une étude.

Marie Nilsson est membre d’IF Metall depuis plus de 40 ans et en a pris la tête en 2017. Elle se souvient d’avoir rejoint le piquet de grève en 1995 pour soutenir les travailleurs en grève contre Toys "R" Us, la dernière grande entreprise américaine à avoir rejeté une convention collective. Mais c’est la première fois qu’elle lance un appel à la grève.

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Marie Nilsson, présidente d’IF Metall

Elle a réfuté l’argument de Tesla selon lequel il offre des conditions égales ou supérieures à celles que les employés obtiendraient dans le cadre d’une convention collective.

Quatre techniciens qui ont décrit les raisons de leur grève ont déclaré qu’ils admiraient Elon Musk. L’un d’entre eux s’est extasié sur le fait que la batterie étendue du nouveau Cybertruck allait changer la donne. Janis Kuzma conduit un Model Y. Mais tous ont convenu que malgré le génie de M. Musk pour révolutionner les véhicules électriques, il était en train de chercher la bagarre avec un pays qui privilégie le consensus, et qu’il serait erroné de faire l’amalgame entre le modèle suédois et les United Auto Workers, le syndicat américain qui a adopté une ligne dure contre les trois constructeurs automobiles de Detroit lors d’une récente grève.