En 1991, j’ai reçu un doctorat honorifique de HEC Montréal. Dans mon discours d’acceptation, j’ai affirmé : « Je suis un Montréalais, fier ! … Je suis un Québécois, fier ! … Je suis un Canadien, fier ! … Je suis un citoyen du monde, fier ! » Mes collègues, tant nationalistes que fédéralistes, peu importe, étaient ravis. Nous avions travaillé en étroite collaboration, moi et mes collègues de McGill et de HEC, à la création de projets de réputation mondiale.

Le programme bien particulier de doctorat conjoint en administration, reconnu à l’échelle internationale, est offert de concert par les quatre universités montréalaises. Bertin Nadeau, de HEC, et moi, de McGill, avons pris l’initiative de sa conception. Ce programme se trouve à la croisée entre les programmes typiquement américains, très structurés, et certains programmes européens, parfois non structurés. Il s’agit donc d’un programme très représentatif du Québec, au carrefour entre l’Amérique du Nord et l’Europe. Depuis, je crois qu’il est probablement devenu le plus grand programme de doctorat en gestion au monde.

PHOTO FOURNIE PAR L'UNIVERSITÉ MCGILL

Henry Mintzberg

En plus, en raison du grand nombre de doctorantes et de doctorants qui travaillent chez nous, l’expression « Montreal School of Management/École montréalaise de gestion » est entrée dans l’usage international. Il s’agit d’une école de pensée plutôt émergente que délibérée, où l’apprentissage ancré dans la réalité s’élève au-dessus de la planification, dans un esprit communautaire – c’est-à-dire, québécois.

Quelques années plus tard, Alain Pinsonneault, de McGill, et Louis Hébert, de HEC, ont conçu le programme EMBA McGill–HEC, inspiré d’un programme créé à McGill en collaboration avec quatre autres écoles d’administration mondialement connues qui a renversé l’enseignement classique d’un MBA. Cet EMBA a acquis une notoriété mondiale. On lui reconnaît un caractère unique du fait d’avoir travaillé en collaboration plutôt qu’en concurrence, au profit de tous.

Tant de Québécoises et de Québécois sont fiers d’être diplômés de McGill. Et McGill est fière d’être du Québec. Le Québec offre à McGill une singularité, un créneau qui est distinct de celui d’autres établissements comme Harvard ou la Sorbonne, au cœur de leur société, qui bonifie sa qualité du savoir. McGill est une université de premier plan tranquille, modeste et à l’ancienne, qui ne se laisse pas porter par les dernières modes didactiques. Dites-moi, Monsieur Legault, le Québec ne devrait-il pas être fier de McGill et soutenir son excellence ?

Et maintenant vous voulez nous imposer cette nouvelle mesure en éducation. Qu’a fait McGill pour mériter cela ? Sommes-nous punis pour notre réussite ? Pourquoi, Monsieur Legault ? J’ai bâti ma vie et ma carrière au Québec en raison de son caractère positif. Voilà notre avantage par rapport à l’Ontario, mais non pas cette proposition. Est-ce là une solution pour combler l’écart de richesse avec l’Ontario ?

Quel est l’intérêt de transférer l’argent des universités anglophones pour financer les universités francophones, alors que les fonds n’y seront plus ? Cette hausse des frais de scolarité pour les étudiantes et étudiants hors Québec risque tout simplement de tarir la source de revenus en décourageant plusieurs à venir étudier ici. En conséquence, McGill en paiera les frais, ainsi que le Québec.

En plus, quant à la cible de 80 % de francisation, plusieurs étudiantes et étudiants de l’étranger qui viennent à McGill parlent déjà le français. L’Université McGill est choisie non seulement pour sa réputation, mais aussi pour la possibilité de faire l’expérience d’une nouvelle francophonie vibrante. Pour les autres, ces personnes optent pour McGill pour étudier, disons, la géologie ; elles ne viennent pas pour apprendre une nouvelle langue. En conséquence, celles-ci ne viendront tout simplement pas. Et ce sera la fin de l’Université McGill telle qu’on la connaît. Pour quoi, Monsieur Legault ? Est-ce vraiment ce que vous souhaitez laisser en héritage ?

Ce n’est pas un jeu à somme nulle, où les universités francophones sont favorisées aux dépens des universités anglophones. C’est également au détriment de Montréal, qui perdra de sa richesse (et pas seulement sur le plan financier). La culture du Québec est dynamique, reflétant la générosité et l’enthousiasme des Québécoises et des Québécois. La collaboration est plus bénéfique que la concurrence.

Pourquoi cette précipitation ? Cela nuit déjà à McGill et l’idée n’a pas encore été mûrement réfléchie. Pourquoi procéder avant que les conséquences ne soient clairement déterminées ?

Pourquoi, Monsieur Legault ? Pour quoi ?