(Québec) Hydro-Québec a planifié des hausses de tarif plafonnées à 3 % par année jusqu’en 2035 pour les clients résidentiels, a affirmé son PDG, Michael Sabia, jeudi. Les clients d’affaires devront toutefois payer plus cher pour leur électricité.

Dans un exercice exceptionnel, le patron de la société d’État a témoigné pendant cinq heures en commission parlementaire sur son plan d’action impliquant des investissements colossaux de 155 à 185 milliards de dollars. Hydro-Québec doit répondre à une forte augmentation de la demande d’électricité : elle va doubler d’ici 2050 avec la décarbonation et la croissance de l’économie. Il lui faut donc ajouter jusqu’à 200 TWh d’énergie, dont 60 TWh d’ici 2035.

« Ce n’est pas le temps pour des demi-mesures », a plaidé Michael Sabia devant les députés, soulignant que les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni vont investir des centaines sinon des milliers de milliards pour opérer la transition énergétique.

À Hydro-Québec, « les meilleurs moments de notre histoire ont été marqués par l’audace, le courage, le courage des grands bâtisseurs. Pourquoi c’est important de revenir à cette ambition ? Clairement parce que la transition énergétique et économique est déjà devant nous. C’est un défi crucial pour l’avenir du Québec », a-t-il ajouté.

Malgré les investissements nécessaires pour financer son plan, Hydro-Québec ne prévoit pas piger dans les poches de ses clients résidentiels outre mesure. Les tarifs résidentiels augmenteront de façon limitée.

« Selon toute la planification que nous avons faite, le 3 % est un plafond qui dure et qui est là pendant la période du plan » d’action, donc jusqu’en 2035, a affirmé M. Sabia en réponse aux questions du député de Québec solidaire Haroun Bouazzi. Ce plafond, « c’est une supposition de notre part pour simplifier notre planification », a ajouté le PDG.

« Même si on ajoute de nouvelles sources d’énergie, avec notre base d’actifs à très bas coût, autrement dit le bloc patrimonial, nos coûts moyens vont rester toujours plus bas », a-t-il soutenu.

Clients d’affaires

Une loi du gouvernement Legault plafonne les tarifs résidentiels à 3 % par année jusqu’en 2025. Lors d’une rencontre avec ses employés à la fin de septembre, Michael Sabia avait laissé entendre que les tarifs devaient augmenter davantage, ce qui avait soulevé un débat à l’Assemblée nationale. Le premier ministre François Legault s’est engagé par la suite à ne « jamais » augmenter les tarifs au-delà de l’inflation ou 3 % sous sa gouverne.

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François Legault, premier ministre du Québec

Michael Sabia a dit prendre acte que « le gouvernement a pris cette décision » quant à l’instauration d’un plafond.

Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a signalé que son projet de loi à venir sur l’encadrement du développement énergétique ne précisera pas forcément que les hausses tarifaires seront plafonnées à 3 % par année.

Le texte législatif pourrait prévoir que la Régie de l’énergie se prononce sur la fixation des tarifs comme le veut la procédure habituelle, mais indiquer que le gouvernement se réserve le droit de passer outre son avis. Mais quoi qu’il en soit, « les taux résidentiels vont se limiter à l’inflation ou un plafond de 3 % pour une période lointaine, a dit M. Fitzgibbon. Comment ça va s’enchâsser dans la loi ? On n’a pas encore décidé. »

Pour les clients d’affaires, tant commerciaux qu’industriels, « c’est très probable » qu’il y ait une augmentation plus importante, a signalé Michael Sabia. Il s’est contenté de préciser que les tarifs demeureront plus avantageux au Québec qu’ailleurs.

« Je ne suis pas très rassuré par les réponses de M. Sabia » au sujet des tarifs, en particulier pour les petites et moyennes entreprises, a réagi le député libéral Gregory Kelley.

Pas de « dénationalisation »

D’ici 2035, Hydro-Québec prévoit augmenter la production d’électricité de 60 TWh, ce qui représente entre 8000 et 9000 MW de puissance additionnelle. C’est équivalent à trois de ses plus grands ouvrages hydroélectriques : LG-2, Manic-5 et le complexe de la Romaine. Elle veut construire des parcs éoliens et de nouveaux barrages notamment. Elle étudie pour le moment un projet sur la rivière du Petit Mécatina. Selon M. Sabia, la société d’État n’envisage plus de harnacher la rivière Magpie, également située sur la Côte-Nord.

Le financement nécessaire à la construction de nouvelles infrastructures est un enjeu majeur.

Il y a toutes sortes de structures financières pour financer nos projets. Il y a toujours des occasions de créer des partenariats, peut-être avec le privé.

Michael Sabia, PDG d’Hydro-Québec

Il n’y aura pas de « dénationalisation » d’Hydro-Québec, a insisté Michael Sabia en se lançant dans une tirade sur l’importance de cette « institution publique ». Le plan d’action vise plutôt « une augmentation importante de la présence d’Hydro-Québec ». Il a évoqué par ailleurs des coentreprises avec les communautés autochtones, afin d’amorcer une « réconciliation économique ».

Main-d’œuvre et économie d’énergie

L’autre défi pour Hydro-Québec, le plus difficile selon M. Sabia, en est un de main-d’œuvre. Pour réaliser toutes ces nouvelles infrastructures, il faudra 35 000 travailleurs de la construction en moyenne par année jusqu’en 2035, en pleine période de pénurie. Il est nécessaire de décloisonner les métiers et d’accélérer les programmes de formation, a insisté Michael Sabia, deux mesures qui font partie des orientations récentes du gouvernement.

Selon lui, le coût de la main-d’œuvre en général pourrait avoir « un impact significatif sur [les] charges d’exploitation » de la société d’État.

Hydro-Québec a doublé ses objectifs en matière d’économie d’énergie. Mais n’utilisera « pas du tout des bâtons » pour forcer les consommateurs à changer leurs comportements, a assuré Michael Sabia. Hydro-Québec misera sur des mesures incitatives dont le succès est mitigé jusqu’ici.

Environ 200 000 des quatre millions de clients résidentiels d’Hydro-Québec ont adhéré au programme de tarification modulée pour déplacer une partie de la consommation en dehors des périodes de pointe hivernale

« C’est un peu, mais en même temps, c’est nouveau. On ne se décourage pas », a dit le vice-président Dave Rhéaume. Les économies peuvent atteindre environ 150 $ par année. C’est à peine 3 $ par semaine, donc peu incitatif, a relevé le député caquiste Samuel Poulin. Dave Rhéaume lui a répondu que la société d’État « va bonifier l’ampleur des incitatifs financiers ».

Hydro-Québec veut ajouter des aides financières pour l’achat d’équipements écoénergétiques comme les thermopompes. « On a un rattrapage à faire » en vue de sensibiliser davantage les consommateurs sur le caractère « précieux » de l’électricité, a reconnu M. Rhéaume.