Le PDG de Bombardier ne mâche pas ses mots concernant le remplacement d’avions militaires

(Ottawa ) Il serait carrément « scandaleux » que le gouvernement Trudeau décide d’acheter 16 avions P-8A Poseidon du géant américain Boeing afin de remplacer la flotte vieillissante de CP-140 Aurora de l’Aviation royale canadienne (ARC) sans lancer un appel d’offres en bonne et due forme, affirme le président et directeur général de Bombardier, Éric Martel.

M. Martel a soutenu mardi que Bombardier est tout à fait en mesure de construire et de livrer des avions de patrouille maritime à la fine pointe de la technologie, moins polluants, à moindre coût et dans les délais requis par le ministère de la Défense.

Livrant un témoignage étoffé de près d’une heure devant le Comité permanent de la défense, le grand patron de Bombardier n’a pas mâché ses mots pour critiquer l’absence de transparence et d’équité du ministère des Services publics et de l’Approvisionnement.

Selon lui, la démarche entreprise par les hauts fonctionnaires de ce ministère afin d’acquérir au nom de l’ARC des avions pour remplacer les 14 CP-140 Aurora vieillissants était « viciée » dès le départ. Cette démarche s’est limitée à un appel d’intérêt auprès des entreprises canadiennes et avait un seul objectif, selon lui : ouvrir la voie à l’attribution d’un contrat sans appel d’offres à Boeing. Au cours des derniers mois, les hauts fonctionnaires ont insisté pour dire que le P-8A était le seul avion en mesure de répondre aux exigences canadiennes.

« Nous sommes en mesure d’offrir un avion plus performant. Notre avion peut voler plus vite et plus haut à un coût inférieur. Nous pensons que nous serons en mesure de livrer ces appareils à environ 3 ou 4 milliards de dollars moins cher. Vous savez, c’est l’argent des contribuables », a exposé M. Martel durant son témoignage

En plus, le coût d’exploitation de notre avion sera 40 % inférieur et produira 40 % moins d’émissions. Cela devrait être un critère. Si nous obtenons ce contrat, nous allons créer 22 000 emplois au pays.

Éric Martel, président et directeur général de Bombardier

Preuve que l’entreprise n’est pas un nouvel acteur dans ce secteur, M. Martel a affirmé que Bombardier travaille depuis de nombreuses années avec les Américains sur des projets militaires. L’entreprise a aussi décroché des contrats similaires avec des pays comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la Suède, entre autres. « Le nom de Bombardier rayonne au Pentagone parce qu’on a des avions qui effectuent des missions en Afghanistan, des avions qui volent environ 5000 heures par année, a-t-il dit. On a la réputation de livrer nos contrats à temps. […] On a beaucoup d’expertise. On a 550 avions. »

Pas d’appel

M. Martel a vivement déploré qu’à Ottawa, « jamais personne ne nous a appelés pour savoir ce qu’on était capables de faire ». La démarche de la haute fonction publique s’est limitée à un appel d’information auquel Bombardier a répondu, mais qui est resté sans lendemain.

Quelques heures avant son témoignage, le premier ministre du Québec, François Legault, et son homologue de l’Ontario, Doug Ford, ont diffusé une déclaration commune exhortant aussi le gouvernement Trudeau à lancer un appel d’offres.

« L’an dernier, le gouvernement fédéral a soumis une demande de renseignements à l’industrie visant à remplacer sa flotte d’aéronefs CP-140. Les manufacturiers canadiens ont répondu à cet appel, mais le gouvernement fédéral continue de manifester son intention d’exclure ces compagnies et leurs travailleurs de son processus d’approvisionnement », ont soutenu les premiers ministres.

« C’est pourquoi nous plaidons de nouveau auprès du gouvernement fédéral afin qu’il adopte un processus d’appel d’offres ouvert et équitable, qui permet aux entreprises canadiennes de compétitionner. Si le gouvernement fédéral maintient son intention d’octroyer un contrat à un fournisseur unique étranger, nous demandons à la Chambre des communes de mandater le Directeur parlementaire du budget afin qu’il détermine les coûts et conséquences de cette décision. »

Durant la réunion du comité, le Bloc québécois a déposé une motion qui aurait formellement demandé au gouvernement fédéral de lancer un appel d’offres. Mais les élus libéraux ont refusé de permettre son adoption sur-le-champ.

Alliance

Il y a quelques mois, Bombardier s’est allié à General Dynamics Mission Systems-Canada, une entreprise d’Ottawa qui est un fournisseur international de technologies de lutte anti-sous-marin et de solutions aéroportées à des fins de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, afin de démontrer que l’entreprise peut construire les appareils requis par l’ARC.

En mai, le Canada a formellement demandé au gouvernement américain d’étudier la possibilité d’acquérir jusqu’à 16 avions P-8A Poseidon avec les pièces de rechange, les équipements de soutien, la formation, les dispositifs d’entraînement, les équipements de mission associés et le soutien initial pour une période pouvant aller jusqu’à trois ans. Ottawa insiste depuis pour dire que cela ne constitue pas une commande ferme, mais des experts consultés par La Presse dans le passé pensent le contraire.

Interrogés au sujet de l’option de lancer un appel d’offres, des ministres du gouvernement Trudeau ont soutenu qu’aucune décision n’avait encore été prise.

« Aucune décision n’a encore été prise », a affirmé le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne. « Les achats militaires, c’est rarement très, très rapide. C’est complexe aussi », a-t-il dit.

Le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos, a fait écho aux propos de son collègue.