La femme d’affaires Marilou est connue pour Trois fois par jour, ses recettes et ses chansons. Directrice invitée de la section Affaires, elle a confié à nos journalistes et chroniqueurs la mission de répondre à ses interrogations d’entrepreneure.

Le mot de Marilou

Autant je suis heureuse de voir une réelle volonté d’action sociale au cœur de plusieurs entreprises, autant je suis méfiante puisque j’ai l’impression que des systèmes de valeurs ne sont parfois exposés qu’à des fins de marketing.

Quand on est aveuglé par des campagnes publicitaires ou que de grandes actions philanthropiques sont mises de l’avant, est-ce qu’on devrait se questionner sur leur véracité ? Comment ?

Comme toute petite entreprise, je me sens parfois découragée parce que nos efforts pour nous améliorer dans plusieurs domaines prennent du temps et qu’ils peuvent paraître insignifiants aux yeux du public lorsqu’on se compare aux géants.

Un concurrent de votre entreprise se vante de partager ses profits avec un organisme de charité. Sur Facebook, les consommateurs vantent ensuite sa générosité et invitent les gens à l’encourager. Mais, dit-il la vérité ? À qui se plaindre, si on a des doutes sur la véracité de son altruisme ?

Bon à savoir, des organismes ont bel et bien le pouvoir d’intervenir à ce chapitre au dépôt d’une plainte. Ce sont le Bureau de la concurrence, au fédéral, et l’Office de la protection du consommateur, au provincial. Le plaignant peut aussi s’adresser aux Normes de la publicité, organisme sans but lucratif qui administre le système d’autoréglementation de l’industrie de la publicité.

Un sondage SOM récent réalisé pour le compte de La Presse montre qu’un quart des Québécois ont été influencés par du marketing de cause au cours de la dernière année, ayant acheté en partie en raison de l’argumentaire philanthropique.

Un champ en vogue du marketing de cause est l’environnement. Nombreuses sont les sociétés à mettre de l’avant leurs comportements vertueux. Par exemple, Postes Canada se vante que ses livraisons de colis sont carboneutres. Son site web détaille sa démarche : des achats de crédits de carbone compensent les tonnes de gaz à effet de serre (GES) de son parc automobile. « Ce ne sont pas toutes les entreprises qui divulguent l’information sur le site web comme Postes Canada. La plupart du temps, on doit prendre ça pour du cash », indique Julien Beaulieu, avocat chargé de cours à l’Université de Sherbrooke. Il est coauteur d’un rapport du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) portant sur l’écoblanchiment.

« Une étude récente montre que les gens ont de moins en moins confiance envers les représentations environnementales des entreprises, poursuit-il. Dans le cas des crédits carbone spécifiquement, le problème est que ce sont des certifications privées. Ce sont des organisations de certification qui elles-mêmes font les vérifications. Il y en a de très bonnes et de moins bonnes. »

Le rapport du CQDE s’appuie sur quatre principes clés, dont la divulgation. Les entreprises devraient être obligées de divulguer publiquement les preuves sur lesquelles reposent leurs déclarations climatiques comme « net zéro » et « carboneutre ».

Même quand ce type d’information est rendu disponible, le consommateur reste mal équipé pour s’assurer de la véracité des allégations des organisations, convient MBeaulieu.

Où se plaindre ?

Le principal recours du citoyen est de se plaindre auprès des instances appropriées s’il a des raisons sérieuses de croire qu’une entreprise fait des affirmations fausses ou mensongères. En matière d’écoblanchiment, ce sont souvent des groupes environnementalistes qui agissent à titre de plaignants, observe l’avocat.

Par exemple, des membres de la coalition Sortons le gaz ! ont déposé une « plainte pour représentations fausses ou trompeuses faites par Énergir » auprès de l’Office de la protection du consommateur (OPC) le 1er juin dernier. Ils contestent la véracité de l’affirmation selon laquelle sa clientèle, en payant plus cher, peut être alimentée à 10 %, 30 % ou 100 % en gaz naturel renouvelable (GNR).

« Il y a plusieurs dispositions de la loi [sur la protection du consommateur] qui interdisent les représentations fausses ou trompeuses, notamment aux articles 219 et suivants », souligne le porte-parole de l’OPC, Charles Tanguay.

Théoriquement, l’OPC peut poursuivre au pénal le contrevenant. Dans la pratique, c’est rare, car les ressources de l’OPC sont faméliques. Il emploie 10 enquêteurs seulement pour traiter environ 25 000 plaintes par année. Au fédéral, c’est au Bureau de la concurrence qu’il faut s’adresser.

La lutte contre les pratiques commerciales trompeuses, y compris les déclarations environnementales fausses, trompeuses et non fondées, est une priorité.

Déclaration écrite du Bureau de la concurrence

« La Loi sur la concurrence interdit les indications non fondées. Une déclaration comprend tout message, image ou communication verbale, y compris les publicités en ligne et en magasin, les messages sur les médias sociaux et les courriels promotionnels, entre autres. »

À la réception d’une plainte, le Bureau examine les renseignements pour décider le lancement d’une enquête officielle.

En janvier 2022, le Bureau a conclu une entente avec Keurig Canada comprenant une sanction de 3 millions de dollars, à la suite d’une plainte au sujet de déclarations environnementales fausses ou trompeuses faites aux consommateurs sur la recyclabilité de ses capsules K-Cup à usage unique.

Normes de la publicité

L’organisme qui administre le code canadien des normes de la publicité enquête sur la véracité et l’intégrité d’un message publicitaire à la réception d’une plainte, explique Yamina Bennacer, directrice des normes nationales.

Une seule plainte suffit pour entamer un examen. On commence notre investigation et c’est l’annonceur, la société, qui est responsable de fournir les preuves fiables et concluantes qui démontrent que les allégations faites dans leur publicité sont véridiques.

Yamina Bennacer, directrice des normes nationales, Normes de la publicité

Mme Bennacer confirme la réception de plaintes concernant l’écoblanchiment, mais aucune au sujet d’affirmations philanthropiques trompeuses, selon son souvenir.

La partie lésée a toujours la possibilité de s’adresser au tribunal. Ainsi, une demande en autorisation d’action collective a-t-elle été déposée le 30 septembre 2022 par le cabinet LPC au nom de toutes les personnes au Canada qui ont acheté chez Dollarama, la SAQ, Rona, Super C, Uniprix ou Tigre Géant un sac contenant la mention « recyclable » alors que les sacs sont essentiellement réutilisables.

1500

L’organisme Normes de la publicité, qui dispose d’un pouvoir moral seulement, reçoit jusqu’à 1500 plaintes annuellement, lesquelles débouchent sur la publication de 50 à 100 décisions. Seule la reconnaissance d’une infraction au Code des normes de la publicité entraîne la publication d’une décision. Le code s’applique à tous les annonceurs au pays.

SOURCE : Normes de la publicité

Sondage

Note méthodologique : L’étude a été réalisée en ligne les 4 et 5 octobre 2023 auprès d’un échantillon de 1021 adultes québécois inscrits au panel d’internautes de SOM. Les résultats ont été pondérés de manière à refléter les principales caractéristiques sociodémographiques des adultes québécois. La marge d’erreur est de+/-3,7 %, 19 fois sur 20.

Promesses remarquées

La majorité des Québécois ont déjà remarqué qu’on faisait la promotion d’un produit avec des promesses philanthropiques. Les consommateurs de 25 à 34 ans (65 %) et de 35 à 44 ans (67 %) y semblent nettement plus attentifs ou sont davantage ciblés que ceux de 65 ans et plus (49 %).

En confiance

Six Québécois sur dix font confiance aux entreprises qui font ce type de promesses. Cette confiance semble évoluer en fonction du niveau de revenu familial. À moins de 35 000 $, elle totalise 52 %, contre 67 % chez les ménages gagnant plus de 75 000 $.

De la confiance à l’achat

Le quart des Québécois (26 %) ont acheté en partie grâce à l’argumentaire philanthropique. La confiance ressentie par les consommateurs que la promesse de verser une partie des profits à un organisme de bienfaisance va se réaliser semble jouer un rôle critique dans la décision. En effet, plus on a confiance, plus les chances d’acheter augmentent.

Assez pour changer de marque

Voir les promesses et les croire, c’est beau, mais est-ce assez pour se convaincre de délaisser ses habitudes et d’opter pour une marque inconnue parce qu’elle promet de partager ses profits ? Encore là, une (courte) majorité de Québécois seraient prêts à le faire.

Les consommateurs ne vérifient pas

La confiance est essentiellement aveugle : à peine 4 % des répondants affirment avoir déjà vérifié que les profits étaient effectivement partagés, avant ou après leur achat. Une majorité (55 %) admettent qu’ils ne le feraient pas. Attention toutefois : parmi ceux qui affirment qu’ils pourraient se laisser tenter à changer de marque, ils sont deux fois plus nombreux à avoir vérifié (9 %) et 56 % à se promettre de le faire.

Consultez l’ensemble des textes de notre section spéciale « Marilou Bourdon, directrice invitée »