La crise du logement ne connaît pas de frontières. Pendant que les gouvernements fédéral et québécois piétinent, notre voisin, le Maine, vient d’autoriser l’ajout de logements accessoires à toute maison à la grandeur de l’État dans le but de rééquilibrer le marché de l’habitation.

Pete Chabot, 45 ans, entend se débarrasser bientôt de la maison mobile qui se trouve sur son terrain boisé de New Gloucester, près de Gray, pour y bâtir deux logis : un pour lui et le second pour sa vieille mère. Le zonage municipal l’en empêche. Son lot devrait s’étendre sur une superficie équivalant à quatre terrains de football pour obtenir le permis.

Mais une loi de l’État adoptée en avril 2022 vient lever l’obstacle. « Ça va permettre à ma mère de rester autonome, a-t-il déclaré au quotidien Portland Press Herald en avril dernier. Je serai juste à côté si elle a besoin de moi. »

Ce témoignage sonne comme une mélodie aux oreilles de Ryan Fecteau, ancien président de l’Assemblée législative et parrain politique de la loi 2003 LD visant à stimuler l’offre de logements.

« La loi va donc permettre à cette personne que je n’ai jamais rencontrée de ma vie et que je ne rencontrerai probablement jamais de construire à la fois une maison pour elle-même et une autre pour sa mère sur le même terrain, afin que celle-ci puisse vieillir dans la dignité et près de sa famille, confie à La Presse l’ancien élu. Pour moi, ça résume tout le bien-fondé de la loi que nous avons adoptée. »

PHOTO FOURNIE PAR RYAN FECTEAU

Ryan Fecteau, parrain politique de la loi du Maine visant à stimuler l’offre de logements

Ayant atteint la limite légale de deux mandats imposée aux élus siégeant au Parlement de la capitale Augusta, M. Fecteau a depuis rejoint le bureau de la gouverneure démocrate Janet Mills.

« C’est l’une des lois les plus importantes que j’ai eu l’occasion de présenter et l’une des plus difficiles à faire adopter, reconnaît-il. Cette loi a nécessité une collaboration avec un paquet de parties prenantes et la modification d’un système de règles locales en place depuis longtemps. »

Que trouve-t-on dans la loi ?

La possibilité est donc donnée à tout propriétaire de maison d’ajouter de plein droit un ou deux logements accessoires, sans avoir à ajouter de stationnement. Le logement accessoire, d’un minimum de 190 pieds carrés, peut être aménagé au sous-sol, dans une rallonge du bâtiment ou encore être séparé du logement principal. « Certaines de nos villes nous signalent que les gens sont prêts à se mettre en file pour obtenir leur permis de construire leur logement accessoire », partage Lee Jay Feldman, directeur de l’aménagement à la Commission de l’aménagement et du développement du sud du Maine (SMPDC). L’agence assiste les 39 municipalités des régions York et Oxford, dont Portland et les villes avoisinantes, dans ses champs d’expertise. Son organisme a préparé un guide à leur intention pour la mise en vigueur de la LD 2003.

Une deuxième disposition de la loi concerne les lots résidentiels vacants en milieu urbain. On offre la possibilité d’ajouter jusqu’à quatre logements par lot, du moment que la superficie minimum requise par logement est respectée. Par exemple, si le zonage prévoit un minimum de 5000 pi2 de terrain par maison détachée, le proprio d’un lot vacant de 15 000 pi2 peut y construire de plein droit trois unités même si le zonage existant n’autorise qu’une seule maison.

Finalement, un boni à la densité de 2,5 fois est accordé pour un projet de logements abordables. Un logement locatif abordable est défini comme étant un logement accessible aux ménages gagnant 80 % du revenu médian du secteur et qui consacrent un maximum de 30 % de leur revenu à se loger.

À Portland, ce revenu correspond à 66 000 $ US pour une personne seule. D’autres barèmes s’appliquent pour les propriétaires occupants. Le caractère abordable est protégé pendant 30 ans.

Ainsi, si le zonage en place permet la construction de 50 logements, ce nombre passe à 125 si 51 % des logements proposés se qualifient comme du logement abordable. Une ville ne peut exiger plus de deux cases de stationnement pour trois unités. « Habituellement, la norme était de deux cases par logement. On a réduit les exigences en stationnement de moitié », précise M. Feldman.

Applicable ici ?

Mario Polèse, professeur émérite à l’INRS et spécialiste des politiques en matière d’habitation, aime bien le boni de densité proposé pour les projets de logements abordables. Il note la période de 30 ans garantissant le caractère abordable des unités. Il s’interroge cependant sur les moyens retenus pour s’assurer du respect de cette exigence.

L’universitaire applaudit la rédaction d’un guide à l’intention des municipalités dans le but de favoriser de plus fortes densités. On y diffuse les meilleures pratiques. Dans le passé, des exigences sévères en matière de stationnement ont eu pour effet d’empêcher l’ajout d’un logement à une propriété existante.

PHOTO SARAH RICE, THE NEW YORK TIMES

Les grands terrains résidentiels peuvent dorénavant accueillir deux logements en région rurale et quatre en territoire urbain.

Une loi exceptionnelle en réponse à la crise

La loi a été adoptée en avril 2022, mais sa mise en vigueur a été repoussée en 2024. À défaut de bilan provisoire, La Presse s’attarde à ses avantages et ses inconvénients.

La loi a notamment pour effet de réduire au silence les partisans du « pas dans ma cour » à l’origine de l’abandon de multiples projets résidentiels.

« La Ville de South Portland exigeait auparavant d’une personne souhaitant construire un logement accessoire qu’elle en avertisse ses voisins par courrier, donne en exemple le parrain de la loi, Ryan Fecteau. Ce propriétaire devait aussi se présenter devant le conseil municipal, et ce dernier exigeait la tenue d’une assemblée publique. La Ville a adapté sa réglementation à la nouvelle loi. Le proprio n’est ainsi plus soumis à ce rituel », se réjouit-il.

Que l’Assemblée législative impose ses vues aux villes constitue une petite révolution dans l’État côtier, ce qui n’est pas sans soulever de l’opposition.

PHOTO ROBERT F. BUKATY, ASSOCIATED PRESS

Le parlement de la capitale du Maine, Augusta

« Dans le Maine, nous avons ce que nous appelons un État qui favorise l’autonomie gouvernementale à l’échelle locale, ce qui signifie que chaque municipalité peut rédiger ses propres règlements dans le cadre d’une base de la loi établie par l’État », indique Lee Jay Feldman, directeur de l’aménagement à la Commission de l’aménagement et du développement du Sud du Maine (SMPDC). « Or, cette loi oblige la municipalité à agir. Certaines municipalités sont enthousiastes, d’autres beaucoup moins. »

M. Fecteau justifie le coup de force par l’ampleur de la crise du logement qui sévit dans son État où habitent 1,3 million de personnes.

On est dans l’urgence. Nous voyons tous les jours des familles qui ont de plus en plus de mal à rester dans leur maison parce que les prix augmentent ou faute de maison disponible. La raison de la hausse des prix, c’est le manque d’offre. Nous avons estimé que c’était le temps de prendre des mesures audacieuses pour lutter contre la crise du logement.

Ryan Fecteau, ancien président de l’Assemblée législative du Maine et parrain politique de la loi visant à stimuler l’offre de logements

Il manque 22 000 logements abordables chez nos voisins, selon une estimation qui date de quelques années. Une mise à jour est attendue début octobre.

L’État a d’abord créé en 2021 une commission qui avait le mandat de préparer les grandes lignes du projet de loi. Les parties prenantes, dont les municipalités, y étaient conviées.

Malgré sa participation en amont, l’Association des villes du Maine (Maine Municipal Association) n’est pas convaincue de la pertinence de la loi.

Je ne pense pas que cette loi résoudra le problème du logement de quelque manière que ce soit. Elle n’ajoute rien que nous n’aurions pas déjà pu faire.

Rebecca Graham, conseillère juridique principale de l’Association des villes du Maine

Selon l’organisme, la crise au Maine a plus à voir avec la prolifération de logements offerts en location court terme. La COVID-19 a en effet provoqué un afflux de 40 000 personnes en provenance des États voisins, comme New York. Ceux-ci ont de l’argent, paient comptant et les rénovent ensuite à grands frais. Ils les occupent quelques semaines seulement par année. Or, la nouvelle loi reste silencieuse sur l’hébergement touristique.

La forte présence de ces « réfugiés » de la pandémie a fait monter les valeurs. Le prix médian s’établit maintenant à 325 000 $ US.

Mme Graham déplore également la note salée à payer pour ses membres afin de rendre leur réglementation locale compatible avec les dispositions de la nouvelle loi, même si, pour les municipalités rurales, la loi aura peu ou pas d’effet.

Des résultats ?

Curieusement, l’État n’a pas fixé d’objectif de mises en chantier découlant de l’application de la loi.

Pour donner une idée, la ville de Bath (9000 habitants) a calculé que la loi allait favoriser la construction de 132 logements accessoires, rapporte Ryan Fecteau. L’hypothèse est que 1 propriétaire sur 20 (sur un total de 2640 maisons unifamiliales) irait de l’avant avec l’ajout d’un tel logement à terme.

« La loi exige que l’on dénombre les nouveaux logements, ce qui ne sera pas simple pour une agence régionale comme la nôtre, reconnaît Lee Jay Feldman. Nous avons 39 villes et toutes ne sont pas prêtes à communiquer le nombre de permis de construire ou capables de le faire. Il nous sera donc très difficile d’en assurer le suivi. »