Malgré la pression politique, le train à grande vitesse (TGV) « n’est pas le bon produit » à l’heure actuelle au Canada, prévient un ancien gestionnaire de VIA Rail. Il appelle le gouvernement Trudeau à ne pas céder à la pression, mais plutôt à continuer de privilégier un train à grande fréquence (TGF) dans un premier temps.

« Quand je me place dans les souliers du contribuable, ce que je constate, c’est qu’un TGV, c’est un excellent produit dans certaines circonstances. Mais ces circonstances-là, dans le corridor Québec-Toronto, elles ne sont pas réunies. Ce n’est pas le bon produit actuellement », affirme Pierre Le Fevre, qui a été conseiller sénior à la planification et la stratégie de la direction de VIA Rail pendant cinq ans, jusqu’en 2019.

Il a présenté mercredi sa vision du développement ferroviaire au Canada, à l’invitation du Conseil régional de l’environnement de Montréal (CRE-MTL).

En février, la ministre québécoise des Transports, Geneviève Guilbault, avait dit « privilégier » un TGV et non un TGF. Le premier ministre François Legault avait aussi parlé du TGV comme d’un « beau projet, pourvu qu’il soit fortement financé par le fédéral ». Des élus municipaux, dont le maire de Laval, Stéphane Boyer, ont aussi ouvertement soutenu le TGV.

L’automne dernier, après avoir sollicité les commentaires du secteur privé, Ottawa avait modifié un critère du projet de TGF, en ouvrant désormais la porte au fait que le train aille à plus de 200 km/h sur certaines parties du tracé, en demandant aux entreprises de lui faire des propositions en ce sens.

« De trois à cinq fois plus cher »

Or, selon M. Le Fevre, le fait est que « seulement 14 % des voyages sont interprovinciaux » dans le corridor visé par un éventuel TGV. « Tout le reste se ferait à l’intérieur de chaque province. Un, c’est fantastique à 500 kilomètres, mais en bas de 300, l’avantage est vraiment moindre », juge-t-il.

« À un moment donné, il faut prendre ça en compte, surtout quand on sait qu’un TGV coûterait de trois à cinq fois plus cher qu’un TGF », plaide l’ex-gestionnaire, qui dirige aujourd’hui une firme-conseil en relations gouvernementales.

M. Le Fevre estime que la construction d’un TGV demanderait aussi beaucoup plus de sacrifices. « Si on se fie à la Cour des comptes européenne, ça prend entre 16 ans et 20 ans en moyenne à construire, alors qu’un TGF ne demanderait que 5 ans pour un système qui est tout autant moderne. »

Au Canada, un TGV, ça représenterait aussi environ 750 km d’expropriation à faire. Et sur le plan environnemental, dites-vous qu’un TGV, c’est comme 10 REM en termes de gaz à effet de serre (GES).

Pierre Le Fevre, ex-conseiller sénior chez VIA Rail

D’après l’homme d’affaires, « chaque année sans nouveau service coûte de l’argent aux contribuables », puisque VIA Rail « coûte chaque année environ 300 millions au gouvernement fédéral pour rester en vie ». Avec un TGF, « ils feraient de l’argent et pourraient devenir profitables », plaide le principal intéressé.

« Je ne suis pas du tout anti-TGV, mais ce que je dis, c’est qu’on doit choisir le bon produit pour le bon moment. Tu commences avec ton TGF. Et après ça, si tu veux faire un TGV, tu en fais un aussi. Mais il faut faire au plus court », ajoute M. Le Fevre.

Une analyse qu’il a publiée mercredi, en marge de sa présentation, fait valoir que « les infrastructures ferroviaires à grande vitesse sont coûteuses et le deviennent de plus en plus. Les lignes que nous avons auditées coûtent en moyenne 25 millions d’euros par kilomètre », lit-on dans le rapport. « Huit des 30 projets que nous avons examinés avaient accusé un retard d’au moins un an, et cinq lignes, soit la moitié de l’échantillon audité, avaient connu des retards de plus de dix ans », ajoute-t-on.

Selon la mouture actuelle du projet, le TGF aura des rails réservés et ne devrait plus les partager avec les trains de marchandises. Cela réduira les retards et permettra d’accélérer les temps de parcours, avait avancé celui qui était jusqu’à tout récemment le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra.