Le nouveau président et chef de la direction de la Société des alcools du Québec (SAQ), Jacques Farcy, fait face à une baisse des ventes de 1,2 %, une première en 10 ans. Ces résultats retiennent son « attention », nous affirme-t-il, en entrevue avec La Presse, et le placent devant un dilemme : générer des ventes, mais sans inciter les Québécois à boire davantage.

Pour illustrer ce contraste, la société d’État a pris deux décisions qui toucheront les consommateurs sous peu. Dès le mois de novembre, les clients qui passeront à la caisse des magasins SAQ Dépôt verront leur rabais habituel diminuer. En revanche, en succursale, une trentaine de nouveaux produits feront leur entrée dans la section « petits prix », augmentant du coup l’offre dans cette catégorie par rapport à l’exercice précédent.

Ainsi, avec la multiplication des messages portant sur les dangers de la consommation d’alcool, à quoi doit-on s’attendre de la société d’État dont les ventes sont passées de 913,1 millions à 902, 5 millions au premier trimestre 2023-2024, selon les résultats dévoilés ce mercredi ? Qu’elle mette tout en œuvre pour générer des ventes ou qu’elle joue un rôle de sensibilisation sur les dangers liés à la consommation d’alcool ?

M. Farcy, en poste depuis juin, est clair : le rôle de la SAQ n’est pas de faire de la prévention sur la consommation d’alcool, mais d’en vendre de façon responsable.

« La ligne, pour nous, est claire : si c’est un mineur, on ne vend pas, si c’est une personne en état d’ébriété, on ne vend pas. Dans tous les autres cas, notre mandat à nous, c’est de vendre », a-t-il affirmé au cours d’une entrevue accordée à La Presse, au siège social de la société d’État.

Le rôle de la SAQ, c’est la vente responsable. Ce n’est pas la consommation responsable. Tous les messages liés à une consommation responsable sont faits par des gens qui ont cette compétence. Ce n’est pas la compétence de la SAQ. On n’est pas médecin, on n’est pas chercheur.

Jacques Farcy, président et chef de la direction de la SAQ

D’ailleurs, aucun message portant sur les habitudes de consommation n’est visible en succursale ni sur le site internet de la SAQ.

Toutefois, l’ancien patron de la Société québécoise du cannabis (SQDC) veut visiblement jouer de prudence. Malgré des ventes en baisse au premier trimestre de l’exercice 2023-2024, Jacques Farcy insiste sur le fait qu’aucune campagne de publicité énergique ne sera mise en place pour convaincre les clients de mettre davantage de bouteilles dans leur panier.

« On n’aime jamais que les ventes soient à la baisse, reconnaît-il, mais on ne va pas se lancer dans des campagnes agressives pour dire aux Québécois qu’il est temps d’acheter beaucoup plus d’alcool. On n’est pas là pour stimuler les ventes, on est là pour répondre à la demande. » Ce message, le nouveau président l’a rappelé à plusieurs reprises au cours de l’entretien.

Moins de rabais, plus de petits prix

Mais cette diminution inhabituelle des ventes par rapport au trimestre précédent, qui s’explique selon M. Farcy par des « raisons multiples » – notamment par une prise de « conscience importante dans la tête des clients sur le fait que l’alcool n’est pas un produit comme les autres » –, oblige la société d’État à tenter de trouver un équilibre pour atteindre ses objectifs tout en étant un bon « citoyen corporatif ».

Deux décisions prises récemment semblent illustrer la situation : d’une part, on diminuera les rabais à la SAQ Dépôt, mais d’autre part, dans les succursales, on garnira les tablettes de la section « petits prix » d’une trentaine de nouveaux produits à 12 $, a révélé M. Farcy. Dès le 5 novembre, les habitués de la SAQ Dépôt verront ainsi leur rabais diminuer de 15 % à 10 % à l’achat d’une caisse de 12 bouteilles. Celle en contenant six donnera dorénavant droit à un rabais de 5 % au lieu de 10 %.

« Aller à 15 %, ça nous paraît excessif », soutient Jacques Farcy, qui ajoute dans la foulée qu’il s’agit tout de même d’une « décision difficile ».

« Est-ce qu’on a besoin de donner un rabais si important sur de l’alcool en permanence ? Par rapport à notre position de responsabilité, est-ce que c’est absolument nécessaire ? On pense qu’un rabais pour des achats en volume demeure nécessaire, mais pas à cette hauteur-là. C’est la première raison. La deuxième, c’est plus une raison économique. Le rabais [donné] à la SAQ Dépôt est un investissement conséquent pour la SAQ. Et dans une année un peu plus difficile, on s’est posé la question à savoir si c’était un investissement absolument indispensable. C’est la raison pour laquelle on l’a revu à la baisse. »

Le rabais est-il considéré comme un incitatif à la consommation ?

C’est un point de vue qu’on a entendu. Donc, on doit y être attentif. Mais je le redis, je pense qu’il y a de la place pour un rabais escalier, pour une bannière comme SAQ Dépôt.

Jacques Farcy

Le rabais de 15 % avait été mis en place en 2000, lors de la création du concept SAQ Dépôt, qui compte actuellement 10 magasins.

À l’inverse, les clients qui se rendent dans les succursales verront apparaître une trentaine de nouveaux produits sur les tablettes de la section « petits prix », dont le prix varie entre 7,90 $ et 12 $.

« Dans une période où il y a quand même une pression inflationniste, on souhaite remettre à la disposition des clients un peu plus de produits à petits prix, explique-t-il. Certains produits qui étaient historiquement à petits prix ont monté. On ne s’attend pas à ce que les gens se ruent sur les produits à petits prix, mais on veut avoir une belle part d’offres. Pour certains clients, les produits à petits prix sont très, très, très importants. »

En juin 2023, les consommateurs qui se présentaient en magasin bénéficiaient d’un choix de 122 produits affichés à 12 $ et moins.

Automne occupé

Par ailleurs, en plus de ces changements, celui qui fait un retour à la SAQ après y avoir travaillé entre 2015 et 2021 risque d’avoir un automne occupé. Des hausses de prix sur les produits, généralement annoncées deux fois par année, sont à prévoir en novembre, peu de temps avant que les consommateurs commencent à faire leurs emplettes de Noël. Puis, les négociations avec le Syndicat des employés de magasins et de bureaux de la Société des alcools du Québec (SEMB-SAQ-CSN), sans convention depuis le 31 mars 2023, se poursuivent toujours.

M. Farcy, qui se retrouve à la tête « d’une entreprise pas comme les autres », a été nommé président à la suite du départ de Catherine Dagenais.

Résultats du premier trimestre pour l’exercice financier 2023-2024

Ventes : 902,5 millions (en baisse de 1,2 %)

Résultat net : 301,3 millions (en baisse de 7,5 %)

Volume de vente en litres dans les succursales : 43,1 millions de litres (en baisse de 2,3 %)

Panier moyen d’achat : 62,51 $ (comparativement à 65,40 $ pour le trimestre correspondant de l’exercice 2022-2023)

Ventes générées en ligne : 22,4 millions (3,3 % du total des ventes), une baisse de 5,9 %

La SAQ en bref

Nombre de succursales : 410 (426 agences)

Nombre d’employés : 7474

Nombre de produits : 43 900 en provenance de 76 pays

Président et chef de la direction : Jacques Farcy