(Pékin) La Chine a une réponse aux vagues de chaleur qui touchent actuellement l’hémisphère Nord : brûler plus de charbon pour produire plus d’électricité… et climatiser.

Même avant 2023, la Chine émettait près d’un tiers de tous les gaz à effet de serre (GES) liés à l’énergie : plus que les États-Unis, l’Europe et le Japon réunis. La Chine brûle plus de charbon – sa principale source d’énergie – que le reste du monde. En juin 2023, la Chine a produit 14 % plus d’électricité avec du charbon qu’en juin 2022.

Développement à tous crins

L’usage croissant du charbon en Chine, ces dernières semaines, est le résultat d’une vaste campagne lancée en 2021 pour ouvrir des mines de charbon et construire des centrales électriques au charbon. Les médias d’État ont vanté les 1000 ouvriers qui ont travaillé sans répit au printemps pour terminer avant l’été une des plus grandes centrales au charbon du monde, dans le sud-est de la Chine.

Paradoxalement, la Chine est aussi le chef de file mondial de la production d’énergies renouvelables. Elle domine la chaîne d’approvisionnement mondiale en énergie propre, des panneaux solaires aux voitures électriques en passant par le stockage par batteries. Pourtant, pour des raisons de sécurité énergétique et de politique intérieure, elle double la mise sur le charbon.

PHOTO GILLES SABRIE, THE NEW YORK TIMES

Un parc d’éoliennes dans des marais, non loin de Pékin. La Chine domine la chaîne d’approvisionnement mondiale en énergie propre, mais investit massivement dans le charbon.

Après trois jours de négociations à Pékin, John Kerry, l’envoyé américain pour les questions climatiques, a dit mercredi que la question du charbon avait été la plus difficile : « L’enjeu est de se défaire en partie de la dépendance à l’égard du charbon. »

Les États-Unis, qui émettent beaucoup moins de GES que la Chine, prennent une direction différente. Ils n’ont pas construit de centrale au charbon depuis 10 ans, et ont réduit de moitié leur consommation de charbon en recourant davantage au gaz naturel.

La Chine a les plus grandes réserves de charbon au monde. Dans un pays qui priorise l’approvisionnement national pour ses besoins énergétiques, on considère le charbon comme essentiel.

« Nous considérons toujours la sécurité énergétique nationale comme la mission la plus importante », a déclaré Zhang Jianhua, directeur de l’Administration nationale de l’énergie, lors d’une conférence de presse au printemps dernier.

En avril 2021, le président chinois, Xi Jinping, a déclaré que son pays allait « contrôler strictement les projets de centrales au charbon et la croissance de la consommation de charbon » jusqu’en 2025, puis la « réduire progressivement » au cours des cinq années suivantes. En septembre 2021, il a interdit tout nouveau contrat de construction de centrales électriques au charbon par la Chine dans d’autres pays.

L’électrochoc de 2021

Une semaine plus tard, une vague de chaleur a surchargé le réseau électrique chinois et provoqué des coupures de courant sur toute la côte du pays. Les travailleurs ont eu quelques minutes à peine pour évacuer les immeubles de bureaux avant que les ascenseurs ne s’arrêtent. Une panne d’électricité dans une usine chimique a provoqué une explosion qui a blessé des dizaines d’ouvriers.

Ce fiasco a incité la Chine à lancer dans l’urgence un programme visant à accroître l’exploitation du charbon et à construire plus de centrales électriques au charbon. L’invasion de l’Ukraine par la Russie et l’arrêt consécutif des livraisons d’énergie russe à l’Europe ont renforcé la détermination de Pékin à miser sur le charbon pour sa sécurité énergétique.

La Chine importe du pétrole et du gaz naturel, qui arrivent en partie par des voies maritimes contrôlées par la marine des États-Unis ou celle de l’Inde, deux rivaux géopolitiques.

PHOTO MARINE AMÉRICAINE, VIA REUTERS

La Chine importe du pétrole et du gaz naturel, qui arrivent en partie par des voies maritimes contrôlées par la marine des États-Unis ou celle de l’Inde, deux rivaux géopolitiques. Ci-dessus, le porte-avions américain USS Ronald Reagan dans la mer des Philippines, le 19 juillet 2020.

Après l’accident nucléaire de Fukushima, au Japon, en 2011, la Chine a limité la construction de centrales nucléaires à quelques sites proches de la côte.

300 nouvelles centrales en route

En janvier, il y avait en Chine plus de 300 nouvelles centrales en construction, autorisées ou proposées, selon le groupe de recherche Global Energy Monitor. Cela représente les deux tiers de la capacité de production d’électricité à partir du charbon en cours de développement dans le monde.

Cette myriade de projets a diverses explications.

Lors des pannes d’électricité de 2021, les provinces chinoises ont voulu garder pour elles l’électricité et ne pas la vendre à d’autres provinces. De nombreux gouvernements locaux et provinciaux ont réagi en essayant de construire des centrales au charbon à l’intérieur de leurs frontières.

Il y aura un coût à tout cela, estime Ma Jun, directeur de l’Institut des affaires publiques et environnementales, un groupe de défense de l’environnement établi à Pékin.

Construire toutes ces centrales super redondantes fera grimper le coût total de l’énergie.

Ma Jun, directeur de l’Institut des affaires publiques et environnementales

Presque toutes les nouvelles centrales chinoises sont construites par des entreprises publiques, car le secteur privé ne les trouve pas rentables, dit David Fishman, analyste de l’électricité en Chine au Lantau Group, une société de conseil de Hong Kong.

PHOTO CHINATOPIX, FOURNIE PAR ASSOCIATED PRESS

La Chine a lancé en 2021 un vaste programme de construction de centrales hydroélectriques au charbon, comme celle qu’on voit ci-dessus, sur la rive du fleuve Yangtsé.

Si la Chine se jette tête baissée dans le charbon, elle investit aussi massivement dans le solaire et l’éolien. Elle a 3,5 fois plus de capacité solaire et 2,6 fois plus de capacité éolienne que les États-Unis, selon l’International Renewable Energy Association, un groupe intergouvernemental établi aux Émirats arabes unis.

Les plus grands projets éoliens et solaires de la Chine se situent dans les régions peu peuplées de l’Ouest et du Nord-Ouest, où le temps est ensoleillé et venteux presque toute l’année. C’est loin des provinces côtières, où vit la majorité de la population et où se trouvent de nombreuses entreprises gourmandes en électricité, et où le temps est plus nuageux et moins venteux.

Beaucoup de méthane

La façon dont le charbon est extrait en Chine constitue un autre problème majeur en matière de changements climatiques. Le charbon chinois est extrait sous terre, une pratique qui libère beaucoup de méthane dans l’atmosphère. Or, le méthane est un gaz à effet de serre de 20 à 80 fois plus puissant que le CO2. Des physiciens chinois estiment qu’un quart des émissions de méthane en Chine provient de ses 100 000 mines de charbon, pour la plupart de petites mines abandonnées depuis longtemps, mais d’où s’échappent encore des gaz.

Un évènement fortuit pourrait aider la Chine à réduire sa dépendance au charbon : l’effondrement de son marché immobilier.

Les usines consomment les deux tiers de l’électricité chinoise, et les principaux utilisateurs sont les aciéries, les cimenteries et les usines de verre qui alimentent l’industrie de la construction.

PHOTO GILLES SABRIE, THE NEW YORK TIMES

Un énorme hangar servant à stocker du charbon récemment extrait du sol dans la province du Shanxi

Mais l’immobilier vacille : il y a 80 millions d’appartements vides en Chine, résultat de décennies de construction excédentaire. Les mises en chantier ont chuté de près de 25 % durant la première moitié de 2023 par rapport à 2022.

Mais même un ralentissement de l’immobilier n’annulera pas les investissements colossaux que la Chine vient de faire dans le charbon. « Tout ce nouveau charbon signifie qu’il est plus difficile pour la Chine d’être plus ambitieuse » dans la lutte contre les changements climatiques, observe Michal Meidan, responsable de la recherche sur l’énergie en Chine à l’Oxford Institute for Energy Studies, un groupe de recherche indépendant. « Cela pourrait compliquer l’établissement d’un calendrier plus agressif en matière d’émissions. »

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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