Les mégawatts d’électricité éolienne et solaire se multiplient comme des petits pains. Mais que faire quand le soleil ou le vent sont si forts que la production surpasse la consommation ? Aux quatre coins du monde, des projets de stockage d’énergie par pompage voient le jour. Le Canada est en retard, paradoxalement en raison de sa richesse hydroélectrique.
La capacité mondiale de stockage hydroélectrique, ou stockage d’énergie par pompage, devrait passer de 160 GW à 240 GW d’ici 2030, selon l’Association hydroélectrique mondiale (IHA). À elle seule, la Chine envisage de doubler sa capacité, de 60 GW en 2025 à 120 GW en 2030.
Pendant les périodes de faible demande électrique, la centrale de stockage par pompage puise dans l’électricité non utilisée pour pomper de l’eau vers un réservoir. Comme une batterie, cette eau sert de réserve d’énergie pouvant être utilisée pour produire de l’hydroélectricité pendant les périodes de pointe.
« Le stockage hydroélectrique est l’une des solutions les plus rapides pour répondre à une pointe de demande ou à une nécessité d’équilibrer la fréquence du réseau », explique Alex Campbell, directeur de la recherche à International Hydropower Association (IHA), joint en Angleterre.
Au début de juillet, la Société ontarienne d’ingénieurs professionnels (OSPE) a publié une analyse en faveur du stockage d’énergie par pompage. L’analyse concluait que si des batteries plutôt que du stockage par pompage étaient utilisées pour compenser l’intermittence de l’énergie solaire, les tarifs d’électricité pourraient tripler.
La seule station de pompage par stockage existante au Canada, dont le vidage permettrait de générer 600 MW durant huit heures, est située dans les chutes du Niagara. Elle existe depuis les années 1950. Son réservoir a été récemment rénové au coût de 60 millions de dollars.
Sept projets au Canada
Sept autres projets de stockage d’hydroélectricité par pompage sont projetés au Canada : en Ontario, en Alberta et au Yukon. Ils sont tous prévus pour la décennie 2030 – certains sont en planification depuis une dizaine d’années.
« Je travaille sur le stockage par hydroélectricité depuis cinq ou six ans, explique John Mikkelsen, directeur chez TC Energy. Notre projet en Ontario, sur une base militaire, est planifié [géographiquement] en fonction de tout le réseau ontarien. »
La base en question est près de Meaford, au nord de Toronto. Ce projet de 1000 MW, qui pourrait fournir cette énergie pendant 11 heures, pomperait de l’eau dans la baie Georgienne jusqu’à un réservoir construit sur cette base.
En Alberta, le projet de TC Energy est situé dans une ancienne mine près de Canyon Creek, à 300 km au nord d’Edmonton. D’une capacité de 75 MW pour une alimentation durant 37 heures, il est « à boucle fermée », c’est-à-dire que l’eau serait pompée d’un réservoir à un autre, situé au sommet de la mine.
L’Alberta a deux autres projets de stockage par hydroélectricité, à Tent Mountain et à Brazeau, sur les contreforts des Rocheuses. « Nous sommes encore en train de prévoir le financement des opérations », indique Blain van Melle, vice-président chez Transalta, qui gère les deux projets. Fait intéressant, « l’Alberta a un programme de financement visant à équilibrer la fréquence du réseau électrique, précise-t-il. Or, l’énergie intermittente comme le solaire ou l’éolien introduit des fluctuations de fréquences dans les réseaux ».
Profitant d’une mine désaffectée située au sommet d’une montagne, Tent Mountain a une capacité de 320 MW pendant 15 heures. Deux configurations, de 600 MW pour six heures ou 900 MW pour quatre heures, sont envisagées pour le stockage par pompage à Brazeau, qui est situé près du fleuve du même nom. Une centrale hydroélectrique existe à proximité depuis les années 1960.
Un autre projet de stockage par hydroélectricité est prévu en Ontario, à La Marmora près de Belleville. D’une capacité de 400 MW pour une alimentation durant 5 heures, ce projet prévoit la construction d’un réservoir en surface, alimenté par un second réservoir au fond d’une mine abandonnée, 200 mètres plus bas. Il s’agit donc aussi d’un projet en boucle fermée.
Le projet du Yukon, plus embryonnaire, aurait une capacité totale de 48 GWh, ce qui équivaut à 480 MW pendant 100 heures, grâce à un dénivelé de près d’un kilomètre entre les deux lacs.
Retard relatif
Paradoxalement, le retard relatif du Canada en stockage d’énergie par pompage s’explique probablement par la forte proportion d’hydroélectricité dans sa production.
Les pays avec beaucoup d’hydroélectricité, comme la Norvège ou le Canada, ont déjà la capacité de répondre aux défis de l’énergie intermittente comme l’éolien et le solaire.
Alex Campbell, directeur de la recherche à IHA
Quelle est la proportion d’hydroélectricité dans la production qui assure une croissance sans problème de l’éolien ou du solaire ? « C’est la question à 64 milliards de dollars, dit M. Campbell. Un rapport gouvernemental non encore publié avançait qu’il fallait une capacité de stockage hydroélectrique équivalente à la moitié de la capacité intermittente. »
La recherche d’un modèle de financement adapté retarde la construction des sites de stockage par pompage. « Il va falloir payer les exploitants de ces centrales même s’ils ne produisent pas d’énergie tout le temps, dit M. Campbell. Quand il y a un monopole, c’est un peu plus facile. L’Angleterre a, par ailleurs, lancé un projet-pilote pour financer des services d’équilibrage de la fréquence du réseau. »
Et le Québec ?
Hydro-Québec n’a actuellement pas de projet de stockage par pompage. « Si l’option des réserves pompées fait effectivement partie de l’éventail de possibilités évaluées, nous n’avons pas de projet en développement présentement », dit Francis Labbé, conseiller en communications à Hydro-Québec.
L’an dernier, la société britannique RheEnergise a toutefois fait un test de stockage par pompage à la montagne de ski Montcalm, près de Rawdon. « Ça a très bien marché, dit Christian Porowski, ingénieur chez RheEnergise. Ça nous a permis de remporter un concours pour construire une station de démonstration de 500 kW en Angleterre. »
RheEnergise, qui n’a pas d’autre projet au Québec, fait une grande partie de ses tests d’ingénierie dans des laboratoires à Lachine. Elle vient d’inaugurer un nouveau laboratoire à Montréal, pour faire des tests avec un fluide plus visqueux qu’elle utilise pour le stockage de l’énergie. Avec un fluide plus dense que l’eau, comparable au lait d’amande, il faut moins de hauteur pour stocker la même quantité d’énergie.
« Il y a beaucoup d’intérêt pour des fluides autres que l’eau un peu partout dans le monde », confirme M. Campbell, de l’IHA.
Lisez notre article « La vieille idée qui pourrait donner un coup de pouce à Hydro-Québec »-
- 20 %
- Pertes d’énergie subies lors du stockage par pompage hydroélectrique
Source : IHA- 27 000 MW
- Capacité de stockage hydroélectrique au Japon
Source : IHA -
- 23 000 MW
- Capacité de stockage hydroélectrique aux États-Unis
Source : IHA- 25 000 WM
- Capacité de stockage hydroélectrique en Europe
Source : IHA