Pronoms : elle/she/her. Noa* a choisi d’apposer la liste des pronoms auxquels elle s’identifie dans sa signature courriel. Lasse de se faire mégenrer au travail à cause de son prénom mixte, Noa n’est pas la seule à embrasser ce mouvement qui favorise la diversité et l’inclusion – même s’il est controversé.

« Qui a envie de se faire appeler monsieur ou de se faire dire “il”et “lui”quand ça ne correspond pas à son identité ? », lance Noa*, Montréalaise de 30 ans qui travaille au service à la clientèle d’un grand détaillant de mode.

Lorsque son employeur a tenu une séance d’information pour sensibiliser les employés de tous les départements à faire de petits gestes pour favoriser la diversité et l’inclusion au sein de l’entreprise, l’automne dernier, Noa a sauté sur l’occasion : elle a suivi la formation.

C’est là qu’elle a appris qu’elle pouvait indiquer, dans sa signature professionnelle jointe automatiquement à ses courriels, ses pronoms. « C’est un petit geste qui, au fond, clarifie et simplifie les échanges pour moi, dit-elle, mais aussi pour les personnes trans ou non binaires. »

« Une question d’éthique de base »

Selon Sandrine Devillard, associée senior au cabinet-conseil McKinsey et coauteure du rapport La diversité au travail au Canada publié en janvier 2022, l’identification des pronoms dans les courriels professionnels est encore peu répandue au Canada : entre 10 et 20 % des sociétés qui ont entrepris des démarches en équité, diversité et inclusion (EDI) ont adopté cette mesure.

Depuis 23 ans, Mme Devillard s’intéresse à ces enjeux. « Pour moi, c’est une question d’éthique de base, explique-t-elle. Tout être humain mérite d’être traité comme il se doit, peu importe sa race, sa religion, son orientation, son identité de genre. Cela devrait suffire comme explication. »

Le sujet est polarisant. Pour certains, indiquer ses pronoms est inutile, voire réducteur. Et selon eux, cela sert une minorité de gens.

C’est l’avis de Jean-Michel*, Lavallois de 48 ans et entrepreneur dans le milieu informatique. « Quand je vois cela dans les courriels de mes clients ou de mes fournisseurs, je trouve ça ridicule, commente-t-il. On dirait qu’ils veulent de l’attention ou qu’ils se mettent eux-mêmes dans une case. Moi, je ne m’identifie pas par mon sexe ou mon genre, alors pourquoi je dévoilerais ça publiquement dans mes courriels ? »

La question n’est pas tout à fait là puisqu’elle n’est pas individuelle, avance Fran Delhoume, analyste chez URelles, firme spécialisée en EDI. Selon elle, l’objectif de cette pratique est de normaliser la diversité dans l’identification de genre et de partager la responsabilité. « Quand une personne cisgenre indique ses pronoms, dit-elle, elle envoie le message que la conversation est possible et sécuritaire. Mais évidemment, on n’oblige personne. »

Cela permet d’éviter le mégenrage, cette action de désigner une personne par un genre qui ne correspond pas à son identité de genre. C’est arrivé à Sam*, femme trans qui travaille dans le milieu financier à Montréal. « Ma transition est achevée, mais en cours de route, ma voix sonnait comme celle d’un homme même si j’avais l’air d’une femme, laisse tomber la quadragénaire. Lorsque j’échangeais avec des clients au téléphone, le mégenrage était quasi automatique, même si je sais qu’il était involontaire. »

Une situation qui s’est placée avec le temps, dit-elle, et qui a été allégée par l’identification des pronoms dans sa signature courriel.

Atténuer l’anxiété

Selon Mylène de Repentigny-Corbeil, directrice générale de l’organisme de bienfaisance Les 3 sex*, la pratique vient également atténuer l’anxiété que peuvent ressentir les personnes trans, non binaires, racisées ou issues de l’immigration… tout comme l’anxiété pour la personne qui entre en contact avec elles !

« Cela évite de perpétuer l’inconfort, souligne-t-elle. Au fond, c’est une petite action accessible à tout le monde qui permet un environnement plus inclusif, en plus d’ouvrir le dialogue. Et n’oublions pas que cela inclut plus de gens qu’on pense… tout en pénalisant bien peu de gens. »

En entreprise, l’instauration de cette pratique passe par la sensibilisation, l’éducation et la formation.

Souvent, lorsqu’il y a résistance, c’est à cause d’une méconnaissance, d’une confusion. Il faut déconstruire petit à petit les croyances, comme celle que c’est compliqué, ou encore que cela est lié à l’intimité des gens…

Fran Delhoume, analyste chez URelles

L’identité de genre n’a rien à voir avec l’orientation sexuelle, rappelle Mme Delhoume en ajoutant que « tout changement social prend du temps et apporte une période d’ajustements ».

« Ce n’est pas une mode, conclut Mme de Repentigny-Corbeil, c’est une pratique durable. »

* Noa, Jean-Michel et Sam ont témoigné sous le couvert de l’anonymat, craignant des représailles ou des jugements de la part de leurs collègues et de leur entourage.