Un mégaprojet de terminal de conteneurs en Nouvelle-Écosse inquiète les acteurs de l’industrie, qui se demandent pourquoi Ottawa songe à le financer alors que les ports existants ne sont pas à l’étroit. Pendant ce temps, l’argent fédéral se fait toujours attendre pour boucler le montage financier du projet de Contrecœur, au Québec.

Selon nos informations, le gouvernement Trudeau est en train de finaliser son analyse de la demande de financement déposée par Melford International Terminal. Ce promoteur rêve à un chantier d’au moins 350 millions pour aménager un terminal maritime de 315 acres – environ 240 terrains de football – en Nouvelle-Écosse pour accueillir de gigantesques porte-conteneurs. Plus précisément, il serait situé sur les rives de la municipalité de Guysborough.

Le hic : il y a toujours de l’espace disponible pour accueillir des boîtes métalliques dans les principaux points de transbordement sur la côte Est, soit Montréal, Halifax (Nouvelle-Écosse) et Saint John (Nouveau-Brunswick). Des spécialistes de l’industrie maritime remettent également en cause la raison d’être du projet Melford.

« C’est un projet compliqué », souligne Jean-Paul Rodrigue, spécialiste du transport et professeur à l’Université Hofstra, à New York. « C’est un gros site, mais il est au milieu de nulle part. Le port de Halifax est toujours en phase de stabilité. Il n’y a pas d’indications qui suggèrent qu’un autre terminal est nécessaire parce que la croissance est faible. »

Pour la première fois de son histoire, le port de Halifax a enregistré un volume supérieur à 600 000 conteneurs « équivalent 20 pieds ». Selon son plan stratégique, il est possible de doubler le volume actuel au cours des cinq prochaines décennies sans déborder. À Montréal, la capacité annuelle de 2,1 millions de conteneurs ne sera pas atteinte avant 2027. À cela s’ajoute le projet d’expansion de Contrecœur (1,15 million de conteneurs), en banlieue sud de Montréal.

Des questions

Dans l’industrie, on se demande pourquoi le gouvernement Trudeau envisage de puiser dans le Fonds national des corridors commerciaux (FNCC), doté d’une enveloppe de 4,7 milliards, pour financer un nouveau chantier plutôt que d’investir dans des installations existantes. Le gouvernement Legault est également préoccupé, selon nos informations.

« On dirait qu’il y a du tordage de bras dans ce dossier-là », souligne une source de l’industrie bien au fait du dossier, mais qui n’est pas autorisée à s’exprimer publiquement.

Vendredi, l’Administration portuaire de Montréal (APM) ainsi que le port de Halifax n’ont pas voulu commenter l’éventuelle arrivée d’un rival. Au cabinet du ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, la directrice des communications, Valérie Glazer, confirme que le promoteur du terminal de Melford a soumis une demande de financement. Cette dernière n’a pas offert plus de détails.

Toutefois, d’après des informations colligées par La Presse auprès de trois sources différentes, le processus d’évaluation tire à sa fin. Il n’a cependant pas été possible d’avoir une idée de l’ampleur du soutien financier qui pourrait être offert et du moment où une annonce pourrait être faite.

Cela survient alors que l’APM demande à Ottawa de délier les cordons de la bourse pour financer la réalisation du terminal portuaire de Contrecœur, où l’inflation a fait bondir la facture, qui oscillait initialement entre 750 et 950 millions. Québec a accepté d’ajouter 75 millions de plus. Une somme d’environ 150 millions est au cœur des négociations entre l’APM et le gouvernement Trudeau.

« Le projet de Contrecœur continue d’être une priorité pour notre gouvernement, et nous allons trouver une solution », affirme Mme Glazer.

Dans l’air

C’est aux alentours de 2008 que la mouture initiale du terminal de Melford a été dévoilée. Vendredi, il n’avait pas été possible de parler avec un représentant de l’entreprise, qui n’avait pas répondu aux messages de La Presse. Son site web était également hors service. Selon une présentation de la municipalité de Guysborough, on retrouve l’opérateur SSA Marine et la firme d’investissement new-yorkaise Cyrus Capital Partners parmi les promoteurs.

Le projet fait également face à plusieurs obstacles. Impossible de savoir si des clients se sont déjà engagés à y acheminer des conteneurs si le terminal voit le jour.

De plus, l’idée d’accueillir de gigantesques porte-conteneurs n’est plus aussi intéressante qu’elle l’était il y a une décennie, souligne Brian Slack, professeur émérite à l’Université Concordia et spécialiste du transport maritime.

« Avec le temps, les ports américains ont effectué du dragage pour accueillir les grands navires, souligne-t-il. Dans un sens, la prémisse de Melford n’est plus valable. Ils ont aussi un gros problème : investir massivement pour obtenir une desserte ferroviaire qui pourra rejoindre le réseau du Canadien National. Il y a un enjeu de connectivité. »

M. Slack s’est montré étonné de la possibilité de voir le gouvernement Trudeau soutenir financièrement un nouveau terminal de conteneurs dans l’Est. À son avis, les ports existants sont capables de répondre aux besoins d’un accroissement de capacité. À Montréal, parallèlement au financement d’Ottawa, l’APM attend toujours le feu vert du fédéral pour empiéter sur l’habitat essentiel du chevalier cuivré, poisson menacé de disparition.

En savoir plus
  • 130 millions
    Somme totale mise de côté par Québec pour financer le projet Contrecœur
    source : gouvernement du québec