Les investissements dans les start-up technos au Canada sont en baisse de 71 % cette année, si on les compare à 2022. Fins limiers que vous êtes, vous en déduisez probablement qu’il est plus difficile pour les jeunes pousses de trouver de l’argent par les temps qui courent. Les valorisations en ont d’ailleurs pris pour leur rhume, surtout si l’on compare à 2021, une époque révolue où l’on faisait la queue pour convaincre le fondateur de la dernière appli de livraison d’accepter un chèque avec huit zéros.

Or, dans un contexte déjà compliqué, se peut-il que ces entreprises soient encore largement surévaluées ? Est-ce que les start-up technos vont suivre la voie bravement tracée par l’immobilier résidentiel de Floride en 2008 ?

C’est ce que pense l’investisseur en capital de risque Nnamdi Iregbulem, qui a récemment avancé une théorie à cet effet dans un texte intitulé The Shadow Price of Venture Capital.

En résumé, il soutient que si l’on suit les tendances historiques, les valorisations des start-up seraient toujours nettement trop élevées, compte tenu de la chute spectaculaire des montants investis dans le secteur. En effet, selon son analyse, chaque dollar d’investissement qui disparaît d’une année à l’autre devrait entraîner une baisse de valorisation de 0,66 $ des entreprises financées. Cependant, les baisses n’ont été que de 0,40 $ par dollar perdu depuis le pic atteint à la fin de 2021, ce qui signifie que les valorisations pourraient encore chuter de manière substantielle.

À première vue, le raisonnement est cohérent : de nombreuses entreprises ont choisi de retarder leur levée de fonds plutôt que de clôturer dans des conditions défavorables.

Plusieurs financements susceptibles d’affecter lourdement les valeurs n’ont simplement pas eu lieu parce que les fondateurs et actionnaires existants ont tout fait pour ne pas avoir à encaisser un tel coup.

Cela dit, on a beau avoir l’avis d’un financier avec des diplômes de Yale et Stanford, on ne peut jamais être certain des motifs réels de ce dernier ou de la manière dont les données ont été traitées dans son analyse. C’est donc une bonne idée de voir si on perçoit d’autres signaux.

Un son de cloche des employés s’avère ici utile puisque ceux-ci sont plus proches de l’action que les financiers. Pour obtenir leur opinion, on a considéré faire un vox pop dans un café du Mile End un mardi après-midi, mais on s’est ravisés. Heureusement, à la mi-juin, Peter Walker, de l’entreprise américaine Carta, a publié un rapport fort éclairant sur les tendances dans le monde des options d’achat d’actions.

D’abord, il faut rappeler que les start-up paient souvent leurs employés en options, qui donnent la possibilité d’acheter des actions de l’employeur à un prix fixe pendant une période donnée. Si l’action vaut 1 $ au moment de l’embauche et 10 $ au moment de l’exercice de l’option, le salarié paie 1 $ et réalise un profit de 9 $. Tout va bien, à condition que l’entreprise soit devenue publique et qu’on puisse vendre ses actions immédiatement. Or, si la société demeure privée, on peut certes se vanter de réaliser un gain sur papier, mais ce n’est pas toujours évident de convertir cette action en dollars par la suite. Par conséquent, c’est un risque de l’acheter, même si on bénéficie souvent d’un bon prix.

Carta a recensé toutes les options qui arrivaient à échéance en mai 2023 pour voir si les employés les exerçaient. En comptant seulement les actions qui ont gagné en valeur (excluant de ce fait les entreprises en difficulté), seuls 36,6 % des employés ont exercé leurs options contre 56,4 % qui le faisaient à la fin de 2021. C’est donc seulement un employé sur trois qui choisit d’investir dans son entreprise, même en obtenant un rabais.

Qui plus est, ce pourcentage a baissé presque chaque mois depuis novembre 2021. Est-ce parce que les employés s’attendent à une chute de valeur des actions, qu’ils veulent garder leurs fonds liquides dans un monde inflationniste ou qu’ils préfèrent investir ailleurs pendant la marée basse ? Peut-être un peu des trois.

Les adeptes du verre à moitié plein soutiendront que, malgré la chute de 71 % du volume d’investissement, il existe quand même un énorme engouement pour toute entreprise vendant une variation des lettres « AI » ou « GPT », en référence à l’intelligence artificielle. Ces dernières continuent en effet d’accumuler les capitaux, contrairement à plusieurs de leurs consœurs.

Il semble également y avoir la même ferveur du côté des marchés publics, où les entreprises qui bénéficient le plus de l’intelligence artificielle (IA) performent plutôt bien depuis le début de l’année. En fait, si un graphique boursier en 2023 ressemble à une échelle vers le haut ou à la trajectoire d’une fusée, vous pouvez gager un vieux 2 $ que l’intelligence artificielle y est pour quelque chose. Nous basculons ainsi tranquillement dans un monde où il y a deux types de sociétés : celles propulsées par l’intelligence artificielle… et les autres. On peut alors penser que ça augure bien à long terme pour les start-up dans le secteur.

En d’autres mots, malgré la baisse de volume et les prévisions apocalyptiques, certains frapperont tout de même des coups de circuit cette année. Il faut donc éviter de trop s’attarder aux vents de face. Encore faut-il voir venir les marées porteuses pour bien naviguer dans cette mer agitée…