La hausse du prix des aliments a changé les habitudes des commerçants, des consommateurs et, par ricochet, de certains organismes communautaires qui sont forcés de faire preuve de beaucoup de créativité. Même dans leurs recettes.

Dans le local des Jumeleurs, on ne sent pas directement les effets de l’inflation alimentaire. Du tout.

On sent plutôt la cannelle.

Surtout si, par miracle, il y avait de la crème sure dans les denrées récupérées de Moisson Montréal cette semaine-là. Dans ce cas, les participants des ateliers culinaires de cet organisme communautaire pourront cuisiner des gâteaux faits avec les ingrédients originaux plutôt que des substituts.

Si ça ne se voit pas au premier coup d’œil, la hausse du prix des aliments complique la vie de la direction de cet organisme du quartier Saint-Michel, à Montréal.

Mardi, on a appris que l’inflation alimentaire avait ralenti, un peu au pays. Notamment au rayon des légumes frais, dont le prix a un peu diminué en avril par rapport au mois précédent. Mais ce n’est pas le cas dans l’étal voisin, celui des fruits, que l’on a payés plus cher.

Ces mouvements peuvent parfois passer inaperçus pour quelqu’un qui fait son épicerie et qui n’analyse pas systématiquement les prix de tout. C’est autrement plus important pour un organisme qui doit boucler son budget en incluant les achats alimentaires.

Les Jumeleurs est un groupe qui offre un programme d’intégration aux personnes vivant avec des déficiences intellectuelles, des troubles du spectre de l’autisme ou de l’apprentissage.

La nourriture, ici, est un outil. Les membres cuisinent, trois jours par semaine. Dans de rares exceptions, des participants intégreront le marché du travail et peut-être dans un milieu qui a un lien avec ce qu’ils font en cuisine. Mais le but des ateliers est plutôt de donner de la confiance et des compétences qu’ils pourront appliquer ensuite dans toutes les sphères de leur vie. « Ils développent des compétences sociales en parallèle », précise la directrice générale de l’organisme, Stéfania Tremblay.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Hugues Auguste cuisine des gâteaux faits avec de petits contenants individuels de crème sure récupérés d’un restaurant. Chacun des formats individuels a été vidé pour être cuisiné. Il y en avait environ 300…

Moins de viande

Aux Jumeleurs, le prix des aliments a donc un impact considérable, de deux façons distinctes.

D’abord, les dons reçus par Moisson Montréal ont beaucoup changé. La quantité de viande récupérée a diminué. « À l’intérieur d’une année, on est passé d’une cueillette de viande chaque semaine à une par deux semaines, explique Stéfania Tremblay. Et la quantité a diminué de 50 %. » Parfois, il n’y en a pas du tout.

La pandémie et la hausse des prix des aliments ont fait diminuer le gaspillage alimentaire en général, précise Marie-Claude Beauchamp, cheffe des programmes pour l’organisme. Des gens qui n’avaient jamais envisagé d’acheter les fruits et légumes défraîchis vendus en bout d’allée à l’épicerie le font maintenant.

Les applications antigaspillage ont aussi aidé les commerçants à passer sur place des aliments moins frais, dont la viande et les produits laitiers. C’est bien, mais cela fait aussi moins de denrées pour Moisson Montréal et ses bénéficiaires.

Comme aux Jumeleurs on cuisine avec ce qu’on reçoit et qu’on complète en achetant à l’épicerie ce qui manque, les coûts d’exploitation ont bondi. Car non seulement les prix à l’épicerie sont plus élevés, mais il faut parfois courir dans deux ou trois établissements pour obtenir des rabais. Pas la meilleure utilisation des ressources humaines, précise la directrice générale, qui a elle-même déjà fait les courses – et à peu près toutes les autres tâches du groupe.

Dans leurs ateliers d’apprentissage, les membres cuisinent des plats qui sont vendus en repas congelés au grand public. Ces plats deviennent donc un jalon du financement du groupe, soit 10 % des revenus totaux. Or, le coût de production pour un plat a augmenté de 69 % au total, mais le prix reste stable pour permettre à une population défavorisée d’avoir accès à de la nourriture saine.

Autre facteur d’ajustement : le groupe reçoit plus de protéines végétales. Du tofu, mais aussi tout ce qui rentre dans la catégorie « fausse viande » et « fauxmage ». La hausse du prix des aliments a fait baisser la vente de certains substituts. Conséquemment, ils aboutissent chez les organismes communautaires, qui doivent les transformer.

Ces jours-ci, si vous achetez un pâté chinois fait par les Jumeleurs, il sera fait avec des protéines végétales transformées. La part de plats végétariens est passée de 40 % à 70 %, voire plus selon les arrivages.

Le pain de viande ? Pas de viande ! Car en plus d’en recevoir moins de Moisson Montréal, le prix de la viande à l’épicerie est trop élevé pour en acheter régulièrement.

L’indexation des organismes communautaires par le ministère de la Santé et des Services sociaux est de 3,7 %. « On est toujours en dessous de la réalité de l’inflation réelle, dit Stéfania Tremblay. Chaque année, on est en dessous, alors on a sérieusement pris du retard. »