(Montréal et Ottawa) L’inflation joue les trouble-fête dans le montage financier de Contrecœur. La facture initiale ne tient plus et l’Administration portuaire de Montréal (APM) tape du pied en attendant le gouvernement Trudeau. Une somme d’environ 150 millions est au cœur des négociations, selon nos informations.

Selon le promoteur – qui vient de recevoir 75 millions supplémentaires de Québec –, il faut s’entendre d’ici la fin du mois pour que le projet puisse être mis en branle vers la fin de l’année, comme prévu.

« Le calendrier, il faut le maintenir parce qu’en 2027, on arrivera à capacité », a affirmé le président-directeur général de l’APM, Martin Imbleau, en marge de son passage devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), mardi.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Martin Imbleau, président-directeur général de l’Administration portuaire de Montréal

Je n’envisage pas de décaler le projet.

Martin Imbleau, président-directeur général de l’APM

Celui-ci a refusé de s’avancer sur les sommes réclamées, affirmant ne pas vouloir négocier sur la place publique. Il n’a pas voulu dire pourquoi les négociations s’étirent. Devant un parterre de gens d’affaires, le dirigeant de l’agence fédérale a manifesté des signes d’impatience à quelques reprises. Les négociations avec Ottawa « perdurent depuis un bon moment », a-t-il dit.

Le projet Contrecœur, qui doit voir le jour en banlieue de Montréal, coûtera plus cher que l’estimation allant de 750 à 950 millions préalablement évoquée. M. Imbleau n’a pas voulu chiffrer l’ordre des dépassements de coûts, qu’il impute aux pressions inflationnistes. Parallèlement au financement, l’APM attend toujours le feu vert du fédéral pour empiéter sur l’habitat essentiel du chevalier cuivré, un poisson menacé de disparition.

En débloquant une nouvelle enveloppe dans son budget déposé le mois dernier, le gouvernement Legault appuie le projet à hauteur de 130 millions. La Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) doit aussi offrir 300 millions en prêts. L’APM ainsi que son partenaire privé – qui devrait être sélectionné au cours de l’été – viendront compléter le montage financier.

Un appui financier du gouvernement Trudeau, combiné à l’effort supplémentaire de Québec, permettrait d’absorber les effets de l’inflation, selon M. Imbleau.

Plus de place

Le terminal de Contrecœur devrait pouvoir manutentionner annuellement 1,15 million de conteneurs « équivalents vingt pieds » (EVP). Le Port de Montréal peut accueillir jusqu’à environ 2 millions de boîtes métalliques. Malgré une diminution du tonnage de l’ordre de 4 % en janvier ainsi qu’en février, l’expansion des activités du Port de Montréal demeure pertinente, souligne le président de l’APM.

Pas plus tard qu’en octobre dernier, un groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement soulignait que la chaîne d’approvisionnement des transports approchait de son point de rupture au pays. Le document avait été remis au ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra.

Jean-Paul Rodrigue, expert en transport maritime et professeur à l’Université Hofstra, à New York, s’explique mal les réticences du gouvernement Trudeau.

Cela fait longtemps que le projet est sur la table et on semble s’embourber.

Jean-Paul Rodrigue, expert en transport maritime

« Il y a maintenant des contraintes d’inflation, affirme l’expert, qui est en faveur du terminal Contrecœur. C’est dommage, on aurait pu se payer un projet moins dispendieux il y a quatre ou cinq ans. C’est l’un des prix à payer. »

M. Rodrigue est catégorique : sans nouveau terminal, le Port de Montréal est condamné à voir sa compétitivité s’effriter à long terme. À son avis, le projet Contrecœur constitue une « porte de sortie » afin de contourner des enjeux comme l’accès au port de Montréal, qui se complique de plus en plus pour les camions.

Outil à déterminer

Le budget déposé la semaine dernière par la ministre fédérale Chrystia Freeland ne prévoyait rien pour l’expansion des activités du Port de Montréal. Ottawa a également un autre outil à sa disposition : le Fonds national des corridors commerciaux (FNCC).

Dotée d’une enveloppe de 4,7 milliards, l’initiative doit permettre de financer des projets d’infrastructure, notamment dans les ports, afin d’« améliorer la circulation des biens et des personnes ». Transports Canada a lancé sept appels de propositions. Il n’a pas été possible d’avoir une idée des fonds disponibles dans le FNCC.

Que ce soit une mesure budgétaire, le Fonds ou d’autres enveloppes, cela appartient au gouvernement de trouver des crédits pour réaliser le projet.

Martin Imbleau, PDG de l’APM

« La provenance des fonds ne nous regarde pas, affirme M. Imbleau. Québec a opté pour le budget. De toute évidence, le fédéral est en train de réfléchir à une autre option. »

Le passage de M. Imbleau devant la CCMM survient deux jours avant la visite de Mme Freeland, qui sera accueillie ce jeudi par la tribune d’affaires. Le président et chef de la CCMM, Michel Leblanc, a laissé entendre qu’il pourrait aborder la question du projet Contrecœur avec la grande argentière du pays.

Dans une déclaration envoyée par courriel, Valérie Glazer, porte-parole du ministre Alghabra, a souligné que le gouvernement Trudeau avait déjà débloqué 8 millions pour améliorer les infrastructures de CanEst Transit au port de Montréal. À cela s’ajoute la contribution de la BIC, a-t-elle ajouté.

Nous continuerons de soutenir le Port de Montréal grâce à nos programmes fédéraux, dont le FNCC. Nous continuons aussi d’être en discussion sur le projet Contrecœur.

Valérie Glazer, porte-parole du ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra

Une fois que l’APM aura choisi son partenaire dans le dossier de Contrecœur, le temps viendra de se pencher sur la question de la protection du chevalier cuivré. Le gouvernement Trudeau a protégé une partie de l’habitat de ce poisson, sur lequel empiète partiellement le chantier.

L’enjeu, pour le Port de Montréal, consiste à obtenir un permis de Pêches et Océans Canada en vertu de la Loi sur les espèces en péril. Celle-ci ne prévoit que trois exceptions pour intervenir dans un habitat essentiel désigné officiellement.

Interrogé, le président de l’Administration a réitéré sa confiance à l’endroit des « mesures de compensation » élaborées. Il s’attend à obtenir les autorisations nécessaires « quelque part dans l’année ».

En savoir plus
  • 5,4 %
    Croissance des volumes observés l’an dernier au port de Montréal en 2022
    SOURCE : administration portuaire de Montréal
    2026
    Mise en service prévue du terminal de Contrecœur
    SOURCE : ADMINISTRATION PORTUAIRE DE MONTRÉAL