La porte ouverte par la Ville de Montréal à l’élimination du gaz naturel sur son territoire est une fausse bonne idée, selon Hydro-Québec, qui croit au contraire que sans la biénergie, la décarbonation des bâtiments coûtera très cher ou sera tout simplement impossible. D’autres y voient un risque important.

« La conversion de l’ensemble des bâtiments présentement au gaz vers l’électricité à 100 % n’est pas du tout réaliste », affirme un porte-parole de la société d’État, réagissant à la principale recommandation de la Commission sur l’eau, l’environnement, le développement durable et les grands parcs qui a été bien accueillie par l’administration municipale.

Le réseau de transport et de distribution qui alimente Montréal n’a tout simplement pas la capacité d’accueillir une charge aussi soutenue, explique Maxence Huard-Lefebvre.

Hydro-Québec veut convaincre la Ville de Montréal qu’éliminer le gaz naturel pourrait compromettre les autres projets d’électrification et même le développement économique de la métropole.

La Commission sur l’eau, l’environnement, le développement durable et les grands parcs recommande à la Ville de décarboner au maximum la consommation énergétique en interdisant sans délai le raccordement des nouveaux bâtiments au réseau de gaz naturel et en retirant graduellement les systèmes de chauffage existants. Tous les autres appareils alimentés au gaz naturel, comme les cuisinières, devraient aussi être interdits, recommande la Commission.

Une utilisation restreinte du gaz naturel, pour certains types de bâtiments comme les bâtiments patrimoniaux, pourrait subsister, à condition qu’elle soit limitée à 15 % et uniquement en période de pointe.

« On a besoin de la biénergie »

Pour Hydro-Québec, c’est insuffisant. La stratégie de décarbonation de la société d’État est basée sur une entente avec le distributeur gazier Énergir qui prévoit le remplacement des systèmes de chauffage au gaz naturel par un système de biénergie qui utiliserait 70 % d’électricité et 30 % de gaz naturel.

« On a absolument besoin de la biénergie pour atteindre nos objectifs », affirme le porte-parole d’Hydro. La société d’État mise sur l’efficacité énergétique avec les thermopompes et les accumulateurs thermiques et sur ses outils de gestion de la demande comme Hilo et les tarifs modulés comme le crédit hivernal et le tarif Flex, mais le gaz naturel est indispensable dans cette panoplie de moyens, soutient-elle.

Sans la contribution du gaz naturel, Hydro-Québec devrait non seulement augmenter ses approvisionnements pour satisfaire la pointe hivernale, mais aussi construire des postes et des lignes électriques sur l’île de Montréal, ce qui est complexe et coûteux en zone urbaine, précise l’entreprise.

L’éventualité de l’élimination du gaz naturel sur l’île de Montréal ne sourit pas non plus aux consommateurs industriels d’énergie, qui y voient surtout un risque.

« Du point de vue de la sécurité énergétique, ce n’est jamais une bonne idée de mettre tous ses œufs dans le même panier », observe Jocelyn Allard, président de l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité, dont plusieurs membres consomment à la fois de l’électricité et du gaz naturel.

« Quand tu veux attirer des investisseurs, c’est plus difficile si tu dépends d’une seule source d’énergie », ajoute-t-il, en précisant qu’historiquement, le gaz naturel a toujours été moins cher que l’électricité.

Le Regroupement des organismes environnementaux en énergie, avec d’autres organismes environnementaux, est d’avis que le gaz naturel n’a pas sa place dans le chauffage des bâtiments et a témoigné en ce sens devant la Commission sur l’eau, l’environnement, le développement durable et les grands parcs.

Son porte-parole, Jean-Pierre Finet, est toutefois d’avis que certains services essentiels, comme les hôpitaux, devraient avoir des systèmes de rechange alimentés au gaz naturel ou d’autres combustibles pour des raisons de sécurité. Il ne faut toutefois pas exagérer l’aspect sécurité, selon lui, parce que les systèmes de chauffage au gaz naturel fonctionnent généralement avec une fournaise électrique.

Des profits réduits

C’est sur le territoire montréalais, bien desservi par le gaz naturel, que les gains en matière de décarbonation sont les plus importants pour Hydro-Québec. Son entente avec Énergir permettrait de réduire de 50 % les émissions de GES liées au chauffage des bâtiments d’ici 2030.

Hydro-Québec voulait faire payer à ses clients le coût de la compensation qui sera versée à Énergir, qui verra diminuer son volume de vente, mais tout en continuant d’assumer les coûts de maintien de son réseau de distribution.

Dans une décision publiée la semaine dernière, la Régie de l’énergie a refusé que la facture de la décarbonation des clients d’Énergir soit refilée aux clients d’Hydro-Québec.

La société d’État a fait savoir qu’elle ira quand même de l’avant avec la conversion des systèmes de chauffage à la biénergie en en assumant elle-même le coût estimé à 63 millions d’ici 2025.

Hydro-Québec avait estimé que son entente avec Énergir se traduirait par une augmentation de tarifs de 1,4 % pour l’ensemble de sa clientèle, dont 1 % pour les nouveaux approvisionnements en électricité.

Sans le gaz naturel, il faudrait plus d’investissement dans l’approvisionnement et dans le réseau de distribution, ce qui se traduirait par une augmentation des tarifs encore plus élevée, soit de 3 %, affirme Hydro-Québec.