Cette semaine, la grande militante contre l’écoblanchiment et consultante en ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) Desiree Fixler, qui a participé à l’évènement de CFA Montréal « Provoquer le changement », répond à nos questions sur le leadership.

Alors que vous étiez cadre chez DWS, gestion d’actifs, division de la Deutsche Bank, vous avez accusé le gestionnaire d’actifs d’avoir gonflé ses références ESG. Pourquoi cette lutte contre l’écoblanchiment est-elle importante pour vous ?

Parce que cela induit les investisseurs en erreur en leur faisant croire que leur argent aura un impact positif et il en va de la crédibilité même de l’investissement ESG. L’écoblanchiment est une stratégie marketing. Vous présentez votre entreprise ou votre produit comme plus durable ou écologique qu’il ne l’est réellement. Le scandale de Volkswagen, qui avait équipé ses voitures d’un dispositif qui falsifiait les émissions polluantes, en est un bon exemple.

Votre dénonciation de la Deutsche Bank DWS en 2021 vous a valu un licenciement et vous aviez un poste important. Plusieurs personnes auraient préféré garder leur poste et leur salaire…

Pour être honnête, je l’ai d’abord fait parce que je ne voulais pas avoir d’ennuis avec les régulateurs et les autorités. DWS induisait en erreur à la fois ses actionnaires et les investisseurs de produits de fonds. DWS s’est présenté comme un gestionnaire d’actifs ESG de premier plan avec 459 milliards d’euros d’actifs sous gestion (AUM) alignés ESG, soit la majorité de ses AUM. La réalité était bien différente. Seule une petite fraction des AUM respectait l’intégration ESG.

DWS s’est présentée comme ayant des systèmes de gestion des risques ESG « de classe mondiale », « sophistiqués » et « au-dessus des normes de l’industrie », alors qu’en fait, à l’interne, des mots comme « merde », « très mauvais », « risque opérationnel élevé » ont été utilisés pour les décrire dans les rapports de la haute direction et dans les réunions du conseil d’administration. Il était hors de question que je signe ce rapport annuel de l’entreprise.

Mais oui, cela a conduit à mon licenciement, ce qui a été une expérience vraiment traumatisante. Mais je ne regrette rien de ce que j’ai fait. Et sur une note très positive, mon geste a catalysé les appels à éradiquer l’écoblanchiment et à avoir plus de normes de divulgation ESG. Cela a aussi amené de nombreuses institutions financières à réévaluer si elles respectaient leurs engagements.

A-t-il été difficile de trouver un emploi dans la finance après cet évènement ?

Oui, mon téléphone n’arrêtait pas de sonner parce qu’on voulait me questionner sur l’écoblanchiment, mais personne ne voulait m’embaucher. Outre la presse et les ONG, de nombreux cadres supérieurs de la finance m’ont appelée pour comprendre à quoi ressemblait l’écoblanchiment. Certains ont téléphoné pour savoir si leur institution en faisait aussi. D’autres, comme les grands cabinets de conseil et d’audit, m’ont contactée pour que je les aide à créer de nouveaux postes en détection et prévention d’écoblanchiment. Ils voulaient mes idées et mon expérience, mais ne voulaient pas m’embaucher ou travailler publiquement avec moi. Ce n’est qu’à partir de la descente de police à la Deutsche Bank DWS, en mai 2022, que de grandes organisations ont commencé à s’affilier publiquement à moi et à m’engager comme consultante.

Comment être sûr que prendre la parole et dénoncer est la bonne chose à faire ?

Vous devez écouter votre conscience. C’est sûr que vous aurez à surmonter les contrecoups douloureux et accepter que votre vie professionnelle puisse changer. Mais il y a tellement d’histoires inspirantes de dénonciateurs qui ont effectué des changements incroyables. Que ce soit Gretchen Carlson qui a dénoncé le harcèlement sexuel du président de Fox News et inspiré le film Scandale. Ou encore Tyler Shultz qui a révélé la fraude de l’entreprise de technologies Theranos. Et bien sûr Dan McCrum, qui raconte dans le documentaire sur Netflix Skandal ! La chute de Wirecard, les détails des irrégularités comptables de l’entreprise de services financiers.

Est-ce toujours facile d’être une gestionnaire authentique en respectant ses valeurs ?

Non, dans les organisations, il y a toujours un certain nombre de politiques qui nécessitent des compromis. Lorsqu’ils sont nécessaires, j’essaie de céder sur les petites choses, mais je me bats pour les grandes choses.