L’entreprise se défend dans une lettre envoyée au premier ministre du pays africain

L’entrepreneur montréalais Magil Construction qualifie de « calomnieux » les propos du ministre des Sports du Cameroun au sujet de son retrait du projet de Complexe sportif d’Olembé. La firme se défend d’avoir voulu « spolier » le pays et soutient qu’elle a refusé de payer certains fonctionnaires, dans une lettre envoyée au premier ministre du Cameroun, qu’a obtenue La Presse.

Magil assure qu’il n’a eu d’autre choix que de se retirer du vaste chantier dans sa missive. La source du document est bien au fait du dossier, mais n’a pas l’autorisation d’en parler. L’entrepreneur continue de refuser toute entrevue pour faire le point sur l’affaire.

Le projet d’Olembé, à l’arrêt depuis un an, est devenu un véritable scandale national au Cameroun. Le 9 janvier, La Presse rapportait les critiques acerbes qu’a formulées contre Magil le ministre des Sports du pays, Narcisse Mouelle Kombi, dans une lettre à son chef de gouvernement. Il reproche à l’entrepreneur d’avoir touché plus de 90 millions de dollars, tout en n’ayant réalisé que 1,3 % des travaux prévus.

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Dans sa propre lettre au premier ministre, le vice-président principal de Magil responsable des projets internationaux, Franck Mathière, ne répond pas directement à cette allégation. Il dénonce toutefois ce qu’il décrit comme des « propos calomnieux et indignes d’un haut représentant de l’État » et reproche au ministre un « sabotage médiatique ».

Selon lui, le ministre passe sous silence la cause principale du retrait de Magil : le ministère des Sports ne paie plus l’entrepreneur et ses sous-traitants « depuis le mois de juillet 2021 ».

Franck Mathière affirme que Magil a envoyé depuis un an « 50 correspondances » pour régler ses différends avec le ministre, des lettres « que ce dernier a pris soin d’ignorer ».

Demandes de paiements de fonctionnaires

Selon le vice-président de la firme montréalaise, les représentants du ministère des Sports du Cameroun ont « brillé par leur absence » lors de réunions sur les comptes payables pour le projet d’Olembé. Selon lui, ils ont omis de s’y présenter parce que « Magil a toujours refusé d’allouer, sur demandes de ces représentants, des indemnités de présence ou tout autre avantage, au rang desquels nous pouvons évoquer les demandes d’acquisition de véhicules ».

La Presse a contacté Magil de nouveau pour tenter de lui faire clarifier ces allégations : des fonctionnaires camerounais lui ont-ils demandé des pots-de-vin pour approuver les factures ? L’entreprise n’a toujours pas répondu à nos questions, comme c’est le cas depuis notre premier article au sujet de ses difficultés dans ce pays, le 9 janvier.

Quand la firme a pris le contrôle du chantier, le Ministère lui aurait signalé la présence sur place de « stocks et matériel laissés par Piccini », la firme italienne évincée du chantier en décembre 2019, qu’elle a remplacée sans appel d’offres. Mais un inventaire que le gouvernement a fait dresser aurait plutôt révélé des conteneurs « détériorés, périmés ou inutilisables ainsi que de nombreux matériaux et équipements disparus », selon la lettre de Franck Mathière.

Selon Magil, le Ministère a lui-même orchestré la revente à la ferraille de « plus d’une centaine de tonnes » d’équipements et matériaux du chantier.

Un conseiller du ministre des Sports contacté par La Presse n’a pas commenté ces allégations.

Dans une poursuite de Piccini déposée au Québec et réglée à l’amiable l’automne dernier, le groupe italien affirmait plutôt que Magil s’était approprié sur le chantier du matériel lui appartenant, d’une valeur totale de 28,8 millions d’euros (42 millions CAN).

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Selon l’entrepreneur montréalais, Piccini n’a jamais remis au ministère des Sports les plans d’exécution du projet d’Olembé après son départ du chantier.

Les entrepreneurs du ministre

Le vice-président de Magil dénonce aussi les « multiples tentatives » du ministre Narcisse Mouelle Kombi « pour imposer certains entrepreneurs alors même que les offres proposées par ces derniers étaient d’un coût bien supérieur (voire prohibitif) à celles des autres sous-traitants ».

PHOTO JOËLLE PERETTE, TIRÉE DE WIKIPÉDIA

Le ministre des Sports et de l’Éducation physique du Cameroun, Narcisse Mouelle Kombi

Il ajoute que plusieurs dépassements de coûts à Olembé sont dus à « des demandes additionnelles contre l’avis de Magil ». Il cite à titre d’exemple « le transport aérien en toute urgence de Turquie des écrans du stade », alors que « les supports de structures n’étaient pas prêts à recevoir ces écrans ».

Magil affirme que le Ministère a pris cette décision « pour impressionner la Confédération africaine de football », qui a tenu début 2022 la Coupe d’Afrique des Nations au Cameroun.

La réponse du ministre des Sports, que La Presse a obtenue de son cabinet, n’a pas tardé. Dans une lettre envoyée mercredi à Franck Mathière, il réitère qu’il ne paiera pas les factures tant que Magil ne justifiera pas les dépenses qu’il a déjà faites dans le cadre des travaux.

« Il est clair que vous êtes en situation de dérive budgétaire qui menace l’équilibre financier du projet, écrit Narcisse Mouelle Kombi. La distorsion entre le taux de consommation du budget et le taux d’avancement des travaux est intolérable. »

Il ne répond cependant pas aux allégations que formule Magil sur les demandes de paiements de fonctionnaires et la revente d’équipements sur le site.

En savoir plus
  • 121 millions
    Somme, en dollars canadiens, que le Cameroun prévoyait consacrer aux travaux de Magil sur le Complexe sportif d’Olembé (55 milliards de francs CFA). Après des dépenses de 92 millions, le gouvernement affirme que l’entrepreneur n’a fait que 1,3 % des travaux.
    Source : Ministère des Sports et de l’Éducation physique du Cameroun