L’entrepreneur québécois Magil Construction s’est attiré son lot d’ennemis avec le contrat du stade d’Olembé qu’il vient d’abandonner au Cameroun. Dans une poursuite de près de 74 millions déposée en 2020, un concurrent évincé lui a reproché un « complot » pour s’emparer du projet en l’espionnant, puis un vol de millions de dollars en équipements.

L’affaire s’est réglée à l’amiable l’automne dernier, et aucune des allégations de cet entrepreneur italien n’a été prouvée devant le tribunal. En Italie, une poursuite de Magil contre Piccini a pris fin en même temps. Comme les ententes sont confidentielles, impossible de savoir comment les deux rivaux ont fini par s’entendre en dépit de la gravité des reproches de Piccini dans sa poursuite au Québec.

Évincé du projet

En 2015, le Cameroun avait d’abord confié au groupe italien la construction du Complexe sportif d’Olembé, en banlieue de Yaoundé. Les travaux ont commencé en 2016. Mais après une réclamation de 43,3 millions d’euros en dépassements de coûts (62,3 millions de dollars canadiens), le gouvernement a retiré le contrat à Piccini en décembre 2019. Puis il l’a immédiatement confié à Magil « en urgence », sans appel d’offres.

Selon la poursuite de l’entrepreneur italien, la perte du chantier est due aux « machinations » de son concurrent montréalais. « Alors que le contrat était toujours en vigueur, Magil a sciemment mis à exécution un plan visant à nuire aux relations contractuelles en cours entre Piccini et l’État du Cameroun, en vue de susciter la résiliation du contrat de Piccini et son éventuelle attribution à Magil Construction », indique sa procédure.

L’entrepreneur affirme qu’à partir de décembre 2018, le patron de Magil au Cameroun, Franck Mathière, s’est rendu « clandestinement » sur le chantier avec des collègues. Des représentants de l’entreprise y seraient retournés ensuite à cinq reprises.

Selon Piccini, ils se sont introduits sur le site grâce à la complicité d’un de ses gestionnaires de projet. Le dirigeant en question, que La Presse n’a pas pu joindre, est passé au service de Magil en novembre 2019 selon son profil LinkedIn, soit juste avant le transfert du contrat Olembé à l’entrepreneur montréalais.

Lors d’une de ces visites « clandestines » en juillet 2019, l’équipe de Magil a photographié « différentes zones du site », selon la poursuite, et une dizaine de ses ingénieurs s’y seraient rendus à nouveau en août 2019.

Magil était alors en pleines démarches auprès de la Standard Chartered Bank de Londres pour financer sa prise en charge du projet, assure Piccini, qui a déposé en preuve des lettres de l’institution financière au gouvernement camerounais.

En octobre 2020, les autorités ukrainiennes allaient arrêter Mathière à l’aéroport de Kyiv-Boryspil à la demande du Nigeria. Le pays d’Afrique de l’Ouest reprochait à cet ingénieur et vétéran de l’armée française une fraude de 2,2 millions de dollars américains contre un groupe hôtelier, dans une affaire sans lien apparent avec Magil et les contrats camerounais.

L’Ukraine ne l’a finalement jamais extradé, et la notice rouge qu’Interpol avait émise contre Mathière a été annulée.

Des millions en matériel « illégalement approprié »

Dans sa poursuite, Piccini reprochait aussi à Magil de s’être « illégalement approprié » du matériel lui appartenant sur le site du chantier, d’une valeur totale de 9,4 millions d’euros, soit 13,5 millions de dollars.

Le dossier de cour comprend aussi une série de plaintes criminelles déposées contre l’entreprise au Cameroun.

Piccini affirme qu’après la prise de contrôle du site d’Olembé, Magil l’a empêché de se rendre sur place pour faire l’inventaire de son matériel. L’entreprise montréalaise se serait même emparée d’autres équipements avec la bénédiction du gouvernement. Dans sa poursuite québécoise, l’entrepreneur italien réclamait d’ailleurs 19,4 millions d’euros en « engins et équipements de Piccini qui ont été réquisitionnés au profit de Magil ».

D’autres plaintes mentionnent divers actes de sabotage sur le matériel que la firme a dû laisser sur le chantier, dont le sectionnement de câbles électriques posés avant l’arrivée de l’entrepreneur montréalais.

Pas de commentaires

Contacté pour obtenir ses commentaires, le PDG de Magil, John Marcovecchio, n’a pas rappelé La Presse. Vice-président principal de Fayolle Canada, maison mère de Magil, Hugues Fastrel n’a pas répondu à nos questions non plus.

Jointe par La Presse, l’avocate de Magil, Julie Girard, du cabinet Davies, a refusé de commenter.

Celui de Piccini, Camille Bolté, confirme qu’une entente à l’amiable est intervenue. « Le contenu est confidentiel. »

Il ajoute que « Piccini est en discussions avec le gouvernement camerounais » pour régler sa réclamation, après son éviction du chantier d’Olembé au profit de Magil.

En savoir plus
  • 92 millions de dollars
    Somme qu’a reçue Magil Construction pour le chantier du Complexe sportif d’Olembé près de Yaoundé, qu’il a décidé d’abandonner
    Source : Ministère des Sports et de l’Éducation physique du Cameroun