(New York) Après deux ans de pronostics exagérés sur le retour au travail, de nombreux bureaux sont toujours vacants. Mais à certains étages vides d’immeubles de bureaux du centre de Manhattan, l’espace inutilisé joue depuis peu un nouveau rôle : celui de plateau de tournage.

La transformation d’un bureau réel en un fac-similé sur le petit écran fait partie de la stratégie commerciale de Backlot, un service de localisation pour les productions cinématographiques et télévisuelles à New York, qui offre aux propriétaires un moyen de tirer des revenus de leurs cubicules sans vie.

Le boom de la production de contenus et la demande pour des lieux authentiques ont contribué à l’essor de cette activité, explique Darren Goldberg, associé directeur et responsable des acquisitions de Backlot. « Lorsque vous tournez des scènes pour des émissions comme Billions ou Succession, il ne s’agit pas seulement d’une pièce, a-t-il dit. Il s’agit vraiment de l’authenticité de l’environnement. »

La surabondance d’espaces de bureaux laissée par la transition vers le travail à distance induite par la pandémie devrait rester un problème tenace dans les grandes villes américaines. Le service offert par Backlot n’est que l’une des nombreuses nouvelles solutions proposées aux propriétaires de bureaux vides. Certains convertissent des immeubles de bureaux en appartements et en laboratoires de sciences de la vie comme solution à long terme, mais d’autres cherchent des options à plus court terme, moins coûteuses et plus faciles à gérer, comme la rénovation de l’espace pour accueillir de l’entreposage, des gymnases et même des écoles.

La tâche est compliquée par le coût croissant de tout type de rénovation et le manque de circulation piétonne dans de nombreux centres-villes et quartiers de bureaux, affirme Brian Strawberry, économiste en chef de la société de conseil FMI.

Compte tenu de la situation, avec la hausse des taux d’intérêt, le climat économique et le coût de la construction, c’est un grand défi. Il y a beaucoup de risques.

Brian Strawberry, économiste en chef de la société de conseil FMI

Backlot offre aux productions cinématographiques et télévisuelles un accès facile à 22 millions de pieds carrés de bureaux, de restaurants et d’espaces commerciaux à New York. En repérant et en préparant les lieux, en s’occupant de la paperasserie et des négociations à l’avance, la société transforme les espaces vides en lieux de tournage pour alimenter la demande vorace en contenus.

Par exemple, lorsque la reprise de la comédie culte Party Down a eu besoin de tourner une scène rapide à New York cette année, Backlot l’a fait. D’autres propriétés de Backlot ont été utilisées dans des émissions de télévision comme Harlem, The Watcher et Law & Order : Special Victims Unit.

Moment bien choisi

Backlot compte parmi ses clients des entreprises du secteur de l’hôtellerie et de l’immobilier comme Hines, RXR et Union Square Hospitality. « Les immeubles de bureaux n’aiment pas gêner leurs locataires qui gagnent beaucoup d’argent, et ils ne veulent pas être dérangés par 150 personnes qui viennent tourner un film ou une émission de télévision », explique M. Goldberg.

PHOTO LANNA APISUKH, NEW YORK TIMES

La réalisatrice Ry Russo-Young et le producteur John Melfi visitent un espace de bureau vide pour le tournage potentiel de la série And Just Like That, la suite de Sex and the City.

Un accord visant à placer l’ensemble du portefeuille de l’investisseur immobilier SL Green sur Backlot a généré « des millions de dollars pour [l’entreprise] en revenus supplémentaires au cours des dernières années », a affirmé Steven M. Durels, vice-président directeur de la société, qui se présente comme le plus grand propriétaire commercial de New York.

Le moment est bien choisi pour des entreprises telles que Backlot, qui proposent de nouvelles utilisations pour l’immobilier commercial. Les loyers des bureaux se sont redressés depuis les profondeurs de la récession, mais ils sont encore en baisse de 6,2 % en moyenne à l’échelle nationale depuis 2019, avec des taux de renouvellement en baisse, selon un rapport de JLL, une société de services immobiliers. Un nombre record de baux arrivent à échéance en 2023, ce qui oblige les propriétaires à repenser la façon dont ils remplissent leurs tours de bureaux et en tirent des revenus.

L’excédent d’espaces de bureaux est de 20 à 40 %, selon la Ville, indique Tracy Hadden Loh, membre de la Brookings Institution qui se concentre sur l’immobilier. « Le problème est que personne n’a trouvé comment réutiliser ces immeubles de bureaux massifs d’un million de pieds carrés datant des années 1980 », souligne-t-elle.

La stratégie la plus courante consiste à convertir des tours de bureaux en appartements ou en condos. Ces conversions ont connu une augmentation record de 43 % à l’échelle nationale en 2021, créant 11 090 nouveaux appartements, selon les recherches de RentCafe, une division de la société de logiciels immobiliers Yardi Systems.

Mais les conversions résidentielles ne représentent qu’une petite fraction des espaces de bureaux vacants. La rénovation de bureaux a souvent un coût prohibitif et se heurte aux exigences du Code du bâtiment et à la difficulté d’aménager des chambres à coucher dans de grandes surfaces.

Cela n’a pas empêché certaines jeunes pousses d’essayer de trouver de nouveaux modèles commerciaux pour les espaces vacants. À Seattle et ailleurs, des chefs d’entreprise expérimentent la vente au détail pour attirer de nouveaux locataires dans les centres-villes. Les villes étudient des plans pour faciliter les conversions résidentielles.

Silofit, une entreprise canadienne qui transforme d’anciens espaces de bureaux en salles de sport privées pour les entraîneurs personnels et leurs clients, a récemment étendu son concept à Miami. Et une poignée de jeunes pousses et d’écoles à charte dans le domaine de l’éducation, comme l’Acton Academy, ont expérimenté les espaces commerciaux rénovés.

Les espaces de bureaux du centre-ville ont également une grande valeur pour l’industrie de la logistique. Par exemple, Neighbor, un concept d’autostockage qui aide les propriétaires d’immeubles à rentabiliser les espaces inutilisés, a connu une croissance importante.

Année record

La popularité de la plateforme a explosé l’année dernière, a déclaré Joseph Woodbury, PDG et cofondateur de Neighbor. Par rapport à l’année dernière, le site compte désormais quatre fois plus d’espaces commerciaux utilisés activement pour le stockage.

Alors que les propriétaires cherchent à louer leurs étages et leurs stationnements inoccupés, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir s’inscrire sur Neighbor parce qu’ils ont cessé de croire qu’ils attireraient suffisamment de locataires, prolongeant ainsi la baisse des taux d’occupation.

De nombreux propriétaires commencent à se rendre compte que la situation sera plus grave que prévu.

Joseph Woodbury, PDG et cofondateur de Neighbor

Une autre solution consiste à changer la façon dont les bureaux sont aménagés et loués, en s’écartant du modèle traditionnel des grands espaces avec un bail de 10 ans, qui est tombé en désuétude. De nombreux propriétaires se sont tournés vers la préparation des espaces à la location afin que les locataires potentiels aient la possibilité d’emménager rapidement et de rester pour des périodes plus courtes.

Codi, une jeune pousse de San Francisco, propose ce qui s’apparente à une multipropriété pour les locataires de bureaux en jumelant de petites entreprises aux horaires hybrides afin qu’elles utilisent le même espace un jour sur deux au cours d’une semaine typique. L’entreprise, qui gère une cinquantaine de sites dans la région de la baie de San Francisco et à New York, a connu une croissance de 40 % au cours des six derniers mois.

Codi vient également de lancer un service de location d’espaces commerciaux inutilisés pour des réunions hors site pour les entreprises qui ont adopté le travail à distance.

« Le lieu de travail est en pleine mutation et les entreprises valorisent plus que jamais la facilité, la rapidité et la flexibilité », souligne Christelle Rohaut, PDG de Codi. « L’expérience traditionnelle du bureau n’offre pas cela. »