On est à l’heure des bilans pour 2022. Dans l’univers techno, le moins qu’on puisse dire, c’est que ce fut une année de changement. Si on est honnête, on admettra même que les 12 derniers mois ont ébranlé les colonnes du temple échafaudé pendant la décennie précédente.

Soulignons d’abord le contraste frappant avec 2021, qui a été l’année de tous les records. Dans un bref survol de 2021, on a recensé 96 premiers appels publics à l’épargne (PAPE) de sociétés technologiques aux États-Unis qui ont levé un total de 53,3 milliards de dollars. Le compte n’est pas parfait parce que la définition de « tech » n’est pas coupée au couteau, mais passons. Voici deux statistiques frappantes à propos de ces entreprises :

  • Au début de décembre 2022, seulement 6 d’entre elles s’échangent pour plus que le prix d’émission de leur PAPE. Donc, 94 % ont perdu de la valeur.
  • Les 53,3 milliards investis dans ces PAPE valent aujourd’hui 26,4 milliards. Vous avez bien lu : la capitalisation boursière de ces sociétés nouvellement publiques a perdu 50,4 % en un an.

Le revirement de situation à l’origine de ce bourbier se résume comme suit : le marché ne considère plus que la croissance à tout prix justifie une si grande valorisation pour les entreprises qui ne génèrent pas de flux de trésorerie importants.

Ça peut paraître anodin pour un étudiant au cégep de dire qu’une entreprise qui fait des profits vaudra plus cher que celle qui n’en génère pas, mais dans notre industrie, c’est tout un changement de régime.

Auparavant, le consensus était grosso modo qu’une entreprise qui évoluait dans un énorme marché et qui grossissait très rapidement parviendrait un jour au point de bascule qui lui permettrait d’être profitable. Si ses marges brutes demeuraient assez élevées, l’entreprise deviendrait une machine à imprimer de l’argent, et le plus grand risque qu’allait alors courir l’investisseur était de se noyer dans une piscine de fric.

De telles séquences d’événements se sont produites pour des entreprises phénoménales comme Google (Alphabet) et Facebook (Meta), ainsi que plusieurs autres. Étonnamment, très peu de noyades ont été recensées.

En fait, les investisseurs visionnaires qui ont mis les premières billes dans ces entreprises pourraient se retirer à jamais sur leurs îles privées. Leurs consœurs et confrères, jaloux de devoir se satisfaire de modestes penthouses de trois étages au centre-ville de San Francisco, ont cru bon de les imiter. Une quantité croissante de fonds de capital de risque pourchassaient donc un nombre limité de sociétés qui remplissaient ces critères. La compétition entre ceux-ci faisait enfler la valorisation des entreprises les plus prometteuses, même si plusieurs d’entre elles étaient devenues de véritables incinérateurs de billets verts.

Le meilleur mécanisme pour sortir de ce type d’investissement passe souvent par l’inscription de l’entreprise en Bourse pour pouvoir négocier librement les actions.

Plusieurs sociétés non profitables ont plongé en 2020 et 2021, des années record pour les PAPE, mais l’augmentation rapide des taux d’intérêt en 2022 a changé les règles du jeu.

En effet, les taux plus élevés réduisent la valeur des flux de trésorerie futurs ou, en d’autres mots, un dollar promis dans quelques années vaut moins qu’un dollar généré maintenant. Ces entreprises maintenant publiques qui projettent une croissance agressive jusqu’à l’atteinte du point de bascule futur sont donc moins intéressantes qu’elles l’étaient avant. En conséquence, le marché les a envoyées au banc des punitions, avec comme résultat les chiffres déprimants partagés en début de chronique.

Étant donné la mauvaise performance des PAPE, l’appétit collectif pour ces investissements s’est évaporé cette année. Les entreprises qui ont tenté leur chance n’ont pas été accueillies à bras ouverts, sauf quelques exceptions. Celles qui auraient eu de bonnes chances préfèrent même attendre des cieux plus cléments, croyant qu’elles auront plus de facilité à vendre leur salade (ou leur application) lorsque le marché sera moins nerveux.

Une excellente nouvelle

L’impact sur l’industrie techno est énorme puisque ça signifie que les fonds d’investissement qui ont mis leurs billes dans ces entreprises perdent un de leurs meilleurs moyens pour monnayer leurs gains. Or, si les flux monétaires futurs sont dévalorisés et que la sortie la plus efficace n’est pas disponible, ça a un impact sur l’ensemble de la chaîne d’investissement à partir du premier dollar. Étant donné qu’à court terme, on a moins de chances de vendre nos actions pour la totale, tout le monde aiguise son crayon pour les rondes précédentes et les valorisations des sociétés sont, pour la plupart, ajustées en conséquence.

C’est peut-être un peu contre-intuitif, mais il y a une excellente nouvelle qui se cache derrière tout ça.

Le retour du balancier dans le secteur technologique pourrait bien offrir de superbes occasions d’investissement dans les prochaines années.

Il sera beaucoup plus probable d’obtenir un retour intéressant en misant sur une entreprise valorisée à 6 millions que lorsque cette dernière valait 60 millions après 12 mois d’existence. Je ne serais même pas surpris si 2023 devenait l’une des années qui auront fourni les meilleurs rendements sur le long terme pour ce type d’investissement.

Enfin, l’autre bonne nouvelle, c’est que les entrepreneurs qui font preuve de discipline seront probablement récompensés par les marchés. C’est moins sexy qu’une fête chez WeWork en 2017, mais c’est probablement plus sain. Et il y aura quand même du champagne !