Après la pluie, le beau temps, dit le proverbe. Ce que peut confirmer Véronique Tougas, PDG de Cambli, le plus important constructeur de camions blindés pour le transport des valeurs en Amérique du Nord. Après avoir connu une année 2021 désastreuse en raison de multiples ruptures dans la chaîne d’approvisionnement, l’entreprise de Saint-Jean-sur-Richelieu a repris cette année son erre d’aller et mise maintenant sur la diversification.

Ce n’est pas la première crise que traverse l’entrepreneure, qui est devenue PDG de l’entreprise familiale à 33 ans, en 2010, quand son père, qui avait fondé Cambli en 1992, a jugé qu’il avait fait son temps et qu’il fallait passer le flambeau.

« On vivait une période de croissance folle, plus de 100 % par rapport à l’année précédente. On venait de construire une deuxième usine pour y fabriquer nos pièces.

« En 2012, le marché s’est effondré. J’ai dû mettre à pied la moitié de nos 200 employés et vendre l’équipement de notre deuxième usine de pièces. On a développé un nouveau type de véhicule beaucoup plus technologique et les commandes ont repris en 2013. Mais ç’a été une période très tendue », raconte Véronique Tougas.

La PDG de Cambli vient de revivre en 2021 un autre épisode pour le moins éprouvant alors qu’elle a été incapable de se faire livrer les châssis sur lesquels sont construits ses camions blindés.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Véronique Tougas, PDG de Cambli

« Alors qu’on fabrique de 300 à 400 camions par année, on est tombé à 50 l’an dernier. On a développé une nouvelle plateforme avec des châssis de véhicules Ford Transit, mais c’était impossible de s’en faire livrer. Même chose avec les châssis de camions Peterbilt sur lesquels on fabrique nos plus gros blindés, on n’était pas capable de s’approvisionner », relate Véronique Tougas.

Une crise à traverser

Pour réaliser sa traversée du désert, Cambli a décroché des contrats de fabrication de distributeurs de gel durant la pandémie en 2020-2021, tout en poursuivant la construction de camions blindés paramilitaires et de remorques d’aluminium à chargement latéral qui servent à la distribution de bière, mais on a dû là encore procéder à des mises à pied.

Parce qu’en plus de construire des camions blindés pour le transport de valeurs pour les grandes entreprises comme Garda et Brinks, Cambli assemble depuis 2010 des véhicules tactiques à valeur ajoutée et des remorques en aluminium depuis qu’elle a racheté en 2013 l’entreprise Hesse, de Granby, et rapatrié sa production à Saint-Jean-sur-Richelieu.

« Depuis septembre, on a repris la fabrication de blindés. On s’est fait livrer 300 châssis de Ford Transit et on va terminer l’année avec une production de 150 camions, alors qu’on prévoit en fabriquer 300 l’an prochain », précise Véronique Tougas.

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Usine de Cambli à Saint-Jean-sur-Richelieu

Cambli écoule 70 % de sa production de camions de transport de valeurs sur le marché américain. Les camions de transport génèrent 70 % de ses revenus annuels, les remorques en aluminium, 20 %, et les véhicules tactiques, 10 %. Cambli exporte ces camions spécialisés en Europe, un marché porteur, selon la PDG.

L’entreprise prévoit démarrer bientôt des partenariats avec de grands donneurs d’ordres de l’industrie militaire, dont Rheinmetall Canada (anciennement Oerlikon), un important fabricant d’équipement embarqué de Saint-Jean-sur-Richelieu.

« On parle essentiellement de remorques et d’intégration de systèmes, on est expert là-dedans et on a l’agilité qu’ils recherchent », souligne la PDG de Cambli.

Ambassadrice du CTEQ

Depuis quelques années maintenant, Véronique Tougas est ambassadrice du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ) pour le secteur manufacturier. Elle souhaite faire partager son expérience et favoriser la meilleure transition possible entre le cédant d’une entreprise et sa relève.

« Ça n’a pas été facile. En 2010, à 33 ans, j’étais trop jeune pour devenir PDG. J’étais vice-présidente finances, on était en pleine croissance et mon père m’a dit : “C’est toi qui vas gérer cette croissance.” Quand on a frappé la crise en 2012, ç’a été un passage très difficile. »

« J’ai dû prendre des décisions que mon père n’a pas aimées, comme cesser la fabrication de pièces dans notre deuxième usine, c’était son projet et il voulait reprendre le contrôle, ç’a été tendu. Heureusement, les choses se sont replacées, mais le problème, c’est qu’il m’avait cédé les actions de contrôle, alors que je n’avais pas encore racheté l’entreprise », explique Véronique Tougas.

C’est pourquoi la PDG de Cambli souhaite sensibiliser les propriétaires-cédants et les repreneurs à bien planifier le transfert de propriété d’une entreprise. Il en va de sa pérennité et des bonnes relations familiales.

Ce n’est qu’en 2016 que Véronique Tougas a entrepris le rachat de l’entreprise, même si elle en était l’actionnaire de contrôle depuis 2010.

« J’avais un partenaire de longue date de l’entreprise, Martin Cousineau, qui détenait 15 % des actions et qui est toujours avec moi, mais je n’avais pas la propriété effective. En 2012, mon père voyait son fonds de pension disparaître, je le comprends d’avoir été inquiet », expose la PDG.

Véronique Tougas précise que son père lui a consenti des conditions de vente extrêmement favorables, soit un remboursement sur 12 ans, sans intérêts.

« Même l’an dernier, durant la crise, il ne m’a pas demandé de remboursement. Il a été vraiment bon avec moi, convient la PDG de Cambli. Il souhaite vraiment que l’entreprise marche. On s’entend très bien. »

Le message ultime que Véronique Tougas livre aux entrepreneurs, c’est qu’il ne faut pas mélanger héritage et actionnariat afin de préserver l’entreprise et la famille.

Elle-même mère de trois enfants, Véronique Tougas prépare déjà sa relève, même si sa fille aînée n’a que 16 ans. Elle compte résolument que le transfert se fasse de façon harmonieuse et profitable pour l’entreprise.