Les prêteurs de Groupe Sélection accusent l’exploitant de résidences pour personnes âgées (RPA) de financer le train de vie luxueux de la famille du président fondateur Réal Bouclin. Plutôt que de rembourser ses dettes, dénoncent-ils, l’homme d’affaires continue de se déplacer en jet privé et de gâter ses proches.

En plus de froisser ses banquiers, Sélection est aussi en défaut de paiement à l’égard de son partenaire Fonds de solidarité FTQ, avec qui elle fait équipe dans deux projets majeurs.

L’un des leaders québécois dans l’hébergement des personnes âgées bénéficie depuis lundi de la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Les résidants n’ont rien à craindre de cette « restructuration financière ». Ce processus n’aura « aucun impact » sur les activités des complexes immobiliers, assure l’entreprise dans un communiqué.

La procédure qui est débattue devant la cour lève le voile sur une relation houleuse entre l’entreprise et ses banquiers.

« Il [Réal Bouclin] a utilisé les liquidités de Groupe Sélection au fil des ans pour financer un style de vie somptueux ainsi que pour effectuer des paiements totalisant des millions de dollars en primes à des cadres, pour des services rendus à la Société par des entités contrôlées par des membres de sa famille et pour des dépenses inutiles telles que l’utilisation d’un jet privé », dénoncent les prêteurs, dans une requête dont La Presse a obtenu copie.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Réal Bouclin, président fondateur de Groupe Sélection

Selon le document, les paiements à la famille de M. Bouclin et les dépenses associées au jet privé ont, à certains moments, représenté des dépenses mensuelles d’environ 1,5 million et 190 000 $, respectivement.

Pour Sélection, c’est la « pression accrue » des banquiers pour un prêt de 260 millions qui pose principalement problème, d’après sa requête. Le syndicat bancaire est formé de la Banque Nationale, la CIBC, Desjardins, la Banque TD, BMO, HSBC, Briva Finance et Fiera.

La valeur marchande des immeubles de Sélection est estimée par celle-ci à plus de 3 milliards et la valeur de l’avoir détenu dans ces biens est chiffrée à 1,3 milliard. La part de l’entreprise est estimée à approximativement 410 millions.

Bataille pour le contrôle de la société

Maintenant qu’elle est à l’abri de ses créanciers, Sélection ne s’entend pas avec ses prêteurs sur la suite des évènements. Le contrôle de la société est en jeu. Le juge de la Cour supérieure Michel Pinsonnault entendra les parties ce mardi.

Sélection argue que ses problèmes de liquidités sont temporaires, découlant de la pandémie de COVID-19, de l’inflation et de la montée des taux d’intérêt. Elle demande à la cour d’accepter son plan de redressement qui prévoit nommer FTI Consulting comme contrôleur, une société dirigée par Yanick Blanchard comme chef de restructuration et le magnat de la ferraille Herbert Black comme financier intérimaire prêt à avancer 50 millions.

Le syndicat bancaire est en désaccord complet avec ce plan de match. Il demande au juge de confier les clés de la société à son mandataire PricewaterhouseCoopers.

Les banques n’ont plus confiance dans le Groupe Sélection en raison du comportement de ce dernier à leur endroit depuis qu’elles lui ont consenti leur financement en mai 2021.

En dépit des promesses répétées de remboursements rapides, Sélection a plutôt demandé des fonds additionnels au syndicat bancaire de 6 millions par mois en moyenne, avancent les prêteurs dans leur requête.

« Réal Bouclin, fondateur et actionnaire principal ultime de Groupe Sélection, exerce une influence indue sur la Société en empêchant la mise en œuvre des mesures de restructuration », soutiennent les prêteurs.

Les prêteurs soumettent au juge que Groupe Sélection s’est engagé à maintes reprises à les rembourser rapidement en vendant des immeubles. Or, les rares dispositions réalisées se sont faites à des valeurs inférieures à celles escomptées, disent-ils. Pire, Sélection revenait à la charge en demandant plus d’argent à ses banquiers.

Ils critiquent aussi les nombreux départs de cadres et de dirigeants dans les derniers mois.

Groupe Sélection en chiffres

  • 48 RPA au Québec
  • 7 tours de logements locatifs traditionnels en activité ou en construction
  • 15 projets en développement
  • 3000 employés
  • 14 000 unités d’habitation
  • 1989, année de fondation

Sélection ne paie plus le Fonds FTQ

Sélection aurait aussi négligé ses partenaires. Entre le 20 octobre et le 2 novembre derniers, l’entreprise s’est retrouvée en situation de défaut dans quatre dossiers parce qu’elle ne respectait pas ses obligations, allègue la requête des prêteurs.

Les deux principaux sont le redéveloppement de l’ancienne brasserie Molson à Montréal et la construction d’Espace Montmorency – un complexe multiusage à proximité du métro de Laval.

En ce qui a trait au site de Molson – où Sélection fait partie d’un consortium complété par Montoni et le Fonds immobilier FTQ –, le géant des RPA a été incapable de répondre à un appel de fonds de 1,8 million, ce qui lui a valu un avis de défaut le 20 octobre. Le lendemain, Sélection recevait une mise en demeure de Montoni. Elle aurait été incapable de respecter ses obligations en ce qui concerne le chantier Espace Montmorency, où le Fonds immobilier FTQ est également dans le portrait.

« Groupe Sélection a non seulement perdu la confiance des prêteurs, mais a aussi manqué à ses engagements envers ses partenaires, ce qui pourrait nuire à la valeur de ses intérêts dans des projets clés, tels que [la brasserie] Molson et Espace Montmorency, qui comptent parmi les actifs les plus précieux de la société », font valoir les banquiers de Sélection.

Pour d’autres transactions, Groupe Sélection aurait décidé de conserver l’argent pour lui-même plutôt que de rembourser ses dettes. Les prêteurs donnent en exemple une transaction conclue avec le Fonds de solidarité FTQ qui devait permettre à Sélection de recevoir 2 millions. Selon la requête, cette somme aurait dû servir à rembourser certaines dettes. Le géant des RPA aurait plutôt décidé d’empocher l’argent.

« Groupe Sélection a fait preuve d’un mépris pour ses engagements contractuels et a montré qu’il était tout à fait prêt à violer ses obligations, envers les prêteurs et ses partenaires, afin de continuer à poursuivre son modèle d’affaires insoutenable », affirment les banquiers.

La restructuration de Sélection pourrait aussi avoir des répercussions pour les contribuables. Mardi, Investissement Québec (IQ) – le bras financier de l’État québécois – a précisé l’ampleur de son exposition à Groupe Sélection. Elle est de 60 millions en vertu de garanties de prêts octroyées par l’entremise du Programme d’action concertée temporaire pour les entreprises (PACTE). Cette somme est moins élevée que le montant de 120 millions qui circulait.

Rectificatif : Une version transmise précédemment indiquait que l’exposition d’IQ à Sélection était de 150 millions. La société d’État a fourni la donnée exacte qui est de 60 millions.

Qui est Herbert Black ?

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Herbert Black, en 2017

Septuagénaire et multimillionnaire, le magnat de la ferraille Herbert Black continue de saisir les occasions quand elles se présentent. Le fils de Peter Black, fondateur d’une modeste cour à ferraille de la rue Moreau, dans Hochelaga-Maisonneuve, qui a ouvert ses portes en 1936, préside l’entreprise familiale depuis 1969. AIM – pour American Iron & Metal ou Compagnie américaine de fer et métaux – emploie plus de 2000 personnes dans le monde et a un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard.

Le public connaît d’Herbert Black son côté fantasque. Il est celui qui n’a pas hésité à payer 100 000 $ à l’encan pour la cravate de Guy Carbonneau, entraîneur du Club de hockey Canadien, en 2008. On a aussi entendu parler du spéculateur qui a fait 100 millions en 1996 en pariant sur le prix du cuivre.

AIM regroupe l’enseigne Kenny U-Pull, qui se spécialise dans la vente au détail à bas prix de pièces d’autos en libre-service. En 2017, M. Black disait acheter en moyenne 8000 voitures usagées chaque mois. Sa filiale Delsan fait partie du consortium NHSL qui a obtenu le contrat de démolition du vieux pont Champlain. Société intégrée, AIM est bien placée pour maximiser la valeur des métaux provenant de la démolition de structures obsolètes. L’ampleur de son portefeuille immobilier nous est inconnue. Il s’est fait tout aussi discret au sujet de ses activités comme banquier intérimaire jusqu’à lundi.

André Dubuc, La Presse