Les circulaires en papier des épiceries sont-elles en péril ? Avec l’arrêt de la distribution du Publisac à Montréal en mai 2023, annoncé par la mairesse Valérie Plante, les grandes enseignes réfléchissent à l’avenir du cahier publicitaire imprimé. Bien que « vertueuse », la décision de cesser sa distribution est « moralement suspecte », voire « méprisante », soutient un expert en publicité.

Les Montréalais qui souhaitent continuer à recevoir les circulaires sur le pas de leur porte pourront en faire la demande en apposant un autocollant sur leur boîte aux lettres. L’incertitude entoure toutefois la fin de la distribution du sachet publicitaire, puisque Transcontinental, qui imprime et distribue le Publisac, souhaite le faire livrer par Postes Canada.

Le climat actuel oblige malgré tout les enseignes à poursuivre une réflexion déjà amorcée, assure-t-on, sur l’avenir du papier. Metro, par exemple, a cessé de distribuer sa circulaire dans certains « quartiers urbains », notamment dans Villeray, à Montréal, où La Presse a constaté que le cahier de la chaîne québécoise ne se trouve plus dans le Publisac depuis quelques semaines. Celui de Jean Coutu, enseigne du groupe Metro, y figure toujours.

« Il y a plusieurs secteurs et magasins où nous avons déjà cessé la distribution de la circulaire papier, particulièrement dans des milieux urbains, explique la porte-parole Geneviève Grégoire. Notre approche est centrée sur le client selon sa consultation numérique ou papier. »

Nous évaluerons toutes les options possibles, qui peuvent aller jusqu’à l’arrêt de distribution de la circulaire papier et son remplacement par d’autres moyens, à évaluer par secteur/marché et par bannière. Notre réflexion s’appliquera pour tous les secteurs du Québec au moment opportun.

Geneviève Grégoire, porte-parole de Metro

Maxi, qui a abandonné sa circulaire papier une première fois en 1996, puis dans une seconde tentative en mai 2020 pour finalement renouer, du moins en partie, avec un cahier publicitaire imprimé, affirme « déployer de nombreux efforts pour rediriger la clientèle » vers sa version numérique « sans avoir totalement abandonné la circulaire papier à ce point-ci ».

« Nous avons amorcé un virage en faveur de la circulaire électronique il y a plusieurs mois », rappelle Johanne Héroux, directrice principale, affaires corporatives et communication, de Loblaw (Maxi, Provigo). « Nous sommes encore à explorer différents scénarios en vue de déterminer quelle sera la façon la plus efficace de rejoindre les consommateurs montréalais suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation. »

Du côté d’IGA, il a été plus difficile de savoir si une réflexion sur la pertinence du papier avait été amorcée. « Montréal est un marché important tout comme les autres régions du Québec, et la circulaire papier et numérique reste un outil recherché par nos consommateurs », a indiqué la porte-parole Anne-Hélène Lavoie.

Pari risqué, décision « méprisante »

Ainsi, pour le moment, aucune chaîne de supermarchés ne semble prête à annoncer ses couleurs sur cette épineuse question.

« Dans un monde idéal, vous voudriez que tous les compétiteurs cessent en même temps que vous », souligne Christian Desîlets, professeur de publicité à l’Université Laval, ajoutant dans la foulée que la circulaire représente un outil de visibilité important. « Je les comprends d’être embêtés parce que c’est une opération vertueuse qui va peut-être se faire aux dépens de gens moins fortunés et moins éduqués, qui ne sont pas à l’aise avec la consultation en ligne.

« Si vous êtes de la classe moyenne ou supérieure, vous pouvez applaudir à ça en disant : “voilà, il était temps, on sauve des forêts”. » La réalité est tout autre pour les consommateurs qui ont besoin d’étaler devant eux sur la table de la cuisine les différents cahiers afin de mieux pouvoir comparer les prix, rappelle-t-il.

Selon lui, cette décision de cesser la distribution du Publisac est « presque méprisante » pour une certaine tranche de la population.

De penser que ces gens-là vont naviguer avec grande aise dans les circulaires en ligne, c’est loin d’être évident. On n’a pas l’air d’avoir eu une considération pour ça.

Christian Desilets, professeur de publicité à l’Université Laval

« Surtout en ce moment, où les prix des aliments flambent, la capacité des consommateurs de pouvoir comparer et de pouvoir établir leur menu en fonction des spéciaux va clairement être handicapée. Socialement, c’est très douteux. »

Myriam Brouard, professeure de marketing à l’Université d’Ottawa, croit elle aussi qu’il y a un risque à courir en cessant l’impression de la circulaire. Non seulement parce que nombre de consommateurs seront bousculés dans leurs habitudes, mais également parce que les enseignes perdront de la visibilité pouvant ensuite se traduire par une baisse des ventes.

Consultation papier vs numérique

Par ailleurs, M. Desîlets soutient de son côté que si la version papier existe toujours, c’est que le jeu en vaut la chandelle pour les détaillants en alimentation. « Si les bannières n’ont pas supprimé les circulaires par elles-mêmes, c’est parce qu’elles estiment que c’est rentable pour elles. Donc que c’est très consulté et très utilisé. Ça leur coûte très cher, les circulaires. Elles investissent de grosses sommes là-dedans. »

Or, selon Metro, à la lumière des données obtenues par l’enseigne cette année, la consultation de la circulaire sur des plateformes numériques surpasse celle du papier.

« La circulaire papier demeure la plus consultée, mais l’écart se rétrécit, que quelques points ne séparant les deux formats selon nos études, précise pour sa part Johanne Héroux, de Loblaw. Les résultats varient en fonction de données démographiques. Par exemple, les 18-34 ans privilégient la version en ligne, de même que les gens de la région de Montréal. »

Chose certaine, à la lumière des données fournies, l’entreprise reebee qui permet de consulter en ligne ou en téléchargeant une application la majorité des circulaires des épiceries, des quincailleries et des pharmacies gagne en popularité au Québec. Le nombre d’utilisateurs enregistrés chaque mois a augmenté de 16 % pour les périodes allant de janvier à septembre 2022 par rapport aux mêmes mois en 2021. En moyenne, reeebee attire près de 865 000 utilisateurs québécois chaque mois. D’ici la fin de l’année, l’entreprise prévoit atteindre le million, notamment en raison du Vendredi fou et du Cyberlundi.