Des avions commerciaux électriques suédois devraient sillonner le ciel canadien dans quelques années malgré les millions consentis par Québec et Ottawa pour promouvoir l’aéronef de demain. Air Canada choisit les appareils de Heart Aerospace pour électrifier sa flotte et devient actionnaire de l’entreprise – une décision qui suscite l’étonnement.

Plusieurs étapes doivent encore être franchies et des questions demeurent sans réponse, mais le plus important transporteur aérien au pays a l’intention d’acheter jusqu’à 30 aéronefs. Le prix payé n’a pas été dévoilé. La commande s’accompagne d’un investissement de 5 millions US dans l’entreprise en démarrage suédoise.

« Pourquoi pas une technologie canadienne ? se demande l’expert en aviation et chargé de cours à l’Université McGill John Gradek. C’était l’une de mes premières questions. Nous avons des centaines de personnes ici qui travaillent dans le développement de la technologie hybride électrique. »

L’expert, qui a travaillé pendant près de deux décennies chez Air Canada au cours de sa carrière, s’est dit « vraiment déçu » de voir l’entreprise établie à Montréal se tourner vers une technologie d’ailleurs pour électrifier son parc aérien.

Air Canada et Heart Aerospace ont décliné les demandes d’entrevue de La Presse, jeudi. Jusqu’à 30 passagers peuvent monter à bord de l'ES-30. Son rayon d’action est estimé à 200 kilomètres en utilisant uniquement la technologie des batteries. Il augmente avec l’apport de générateurs alimentés avec du carburant d’aviation durable.

La jeune pousse suédoise a déjà des clients. United Airlines et Mesa Air Group avaient déjà consenti, l’an dernier, à acheter 200 unités de la première version du prototype. Ils recevront des ES-30.

En avance

Le projet de Heart Aerospace est considéré comme faisant partie des plus avancés dans le créneau des avions électriques hybrides. Eviation a déjà déployé un prototype d’appareil, mais celui-ci pouvait seulement accueillir neuf passagers. En Colombie-Britannique, Harbour Air a été en mesure d’effectuer des vols d’essai avec un hydravion électrique.

De plus, Pratt & Whitney Canada et De Havilland collaborent, depuis l’été 2021, pour implanter la propulsion hybride électrique dans un appareil Dash 8-100. Le constructeur de moteurs avait reçu près de 70 millions des gouvernements Legault et Trudeau dans le cadre du projet.

Un prototype devait être présenté en 2024. La première chaîne de montage sera établie en Suède.

« Je suis ambivalent par rapport à [la décision d’Air Canada], explique Jacques Roy, professeur de gestion des transports à HEC Montréal. Sachant qu’il y a un projet canadien sur la table, je trouve cela moins intéressant de voir Air Canada s’impliquer avec une compagnie étrangère. »

Québec et Ottawa n’ont pas commenté la nouvelle. Selon nos informations, le gouvernement fédéral compte surveiller les répercussions du plus grand transporteur aérien au pays.

Pas pour tout de suite

Si tout se déroule comme prévu, l'ES-30, qui n’a toujours pas effectué de vol inaugural et de certification l’autorisant à voler, devrait entrer en service chez Air Canada à compter de 2028. L’autonomie de 200 km permettrait de déployer des appareils sur des liaisons comme Montréal-Ottawa et Vancouver-Victoria, a expliqué la compagnie, en prenant soin de préciser qu’il s’agissait d’exemples.

Cet intérêt à l’endroit des créneaux régionaux étonne les experts, qui soulignent que le transporteur avait plutôt eu tendance à délaisser ces liaisons ces dernières années.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ MCGILL

Ex-cadre d’Air Canada, John Gradek est expert en aviation et chargé de cours à l’Université McGill.

Il n’y a pas plus qu’une vingtaine de marchés au Canada où les avions de Heart feraient l’affaire. On aurait dû attendre pour considérer des appareils qui peuvent relier, par exemple, Montréal et Toronto [700 km] ou Calgary et Edmonton.

John Gradek

Richard Aboulafia, de la firme américaine AeroDynamic Advisory, voit un potentiel intéressant dans l’ES-30, mais rien n’indique que l’aventure sera couronnée de succès.

« La question qui se pose est : quel sera le coût d’exploitation par siège-mille ? explique l’analyste. Le jeu en vaut la chandelle, mais je ne serais pas étonné que l’on sollicite des subventions pour être capable d’exploiter l’appareil. »

Responsable de plus de 2 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde, l’industrie aérienne est souvent montrée du doigt pour son impact sur l’environnement. Au pays, selon les données de Transports Canada, les émissions absolues de GES ont augmenté de 53,2 % pendant la dernière décennie.

À l’heure actuelle, le poids des batteries limite le rayon d’action d’un aéronef électrique. Des géants comme Airbus travaillent actuellement sur des projets d’avions dont les moteurs seraient alimentés par de l’hydrogène liquide afin de contourner l’enjeu du poids.

L'ES-30

  • Autonomie : 200 km
  • Rayon d’action en mode hybride : 400 km et 800 km avec 25 passagers
  • Propulsion : Quatre moteurs
  • Altitude maximale : 20 000 pieds
  • Temps de recharge : entre 30 et 50 minutes
En savoir plus
  • 19,11 $
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    groupe tmx
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