La Caisse de dépôt et placement a raté l’occasion d’engranger des centaines de millions pour ses déposants en se délestant de 80 % de ses actions de titres pétroliers en portefeuille avant la flambée du prix du pétrole de 2022.

La Presse est arrivée à ce constat en suivant l’évolution des cinq plus grandes participations de l’institution dans des sociétés pétrolières cotées en Bourse depuis le 31 décembre 2019.

Sortir hâtivement du pétrole a été une décision coûteuse et malavisée, soutient un gestionnaire de portefeuille torontois.

« En cette période de flux de trésorerie disponibles élevés comme jamais, les déposants de la Caisse ne peuvent pas profiter de l’appréciation du prix des actions du secteur du pétrole, qui repose notamment sur le versement de dividendes et des rachats d’actions à des niveaux record », dit Eric Nuttall, gestionnaire de portefeuille et associé chez Ninepoint Partners, qui gère 8 milliards de dollars d’actifs.

« Le Canada produit du pétrole selon les normes environnementales les plus élevées au monde, poursuit-il. Avec une croissance probable de la demande de pétrole pour au moins la prochaine décennie, le manque d’investissement par des entités comme la Caisse ne fait que bloquer la croissance de la production canadienne, et celle-ci cède donc des parts de marché à d’autres pays qui ne partagent pas nos normes ESG élévées. Ces actions de désinvestissement augmentent donc, et ne réduisent donc pas, l’impact environnemental de la croissance de la production mondiale tout en diminuant les recettes fiscales dont bénéficient tous les Canadiens. »

Du côté de la coalition Sortons la Caisse du carbone, qui publie depuis 2018 un rapport annuel sur les avoirs de la Caisse dans les énergies fossiles, on en fait une lecture diamétralement opposée.

« Globalement, la décision de sortir du pétrole est une excellente décision écologique et financière », soutient Sébastien Collard, porte-parole de la coalition Sortons la Caisse du carbone. Selon lui, la demande mondiale de pétrole va rapidement baisser avec la popularité grandissante des véhicules électriques.

Il ajoute que le rendement des titres pétroliers a été inférieur à celui du marché boursier en général 9 fois au cours des 11 dernières années, 12 si on inclut 2022 qui n’est pas terminée. D’après M. Collard, la flambée des prix en 2022 était imprévisible car elle a été causée par un évènement anormal (l’invasion de l’Ukraine par la Russie).

Important manque à gagner

La Caisse a annoncé officiellement son intention de sortir du pétrole en septembre 2021, les actions pétrolières constituant alors environ 1 % de son actif. Dans les faits, elle avait commencé dès 2020 à se délester de ses titres pétroliers.

Fin décembre 2019, la Caisse détenait des participations d’une valeur de 4 milliards canadiens dans 5 sociétés : Total, Exxon, Canadian Natural Resources (CNQ), Suncor et CNOOC, de Chine. Ces renseignements sont tirés du rapport annuel de l’institution québécoise.

À cette date, la Caisse détenait précisément 8,6 millions d’actions d’Exxon, 18 millions d’actions de CNQ, 111 millions de CNOOC, 15 millions de Total et 13 millions de Suncor.

Aux prix actuels, les 18 millions d’actions de CNQ vaudraient 1,2 milliard de dollars et les 8,6 millions d’actions d’Exxon, plus de 1 milliard de dollars (canadiens).

À la place des 2,2 milliards, on estime que la Caisse a obtenu un maximum de 1,3 milliard en vendant le gros de ses actions avant 2022.

Cette estimation repose sur les déclarations trimestrielles de l’institution au gendarme boursier des États-Unis. Les valeurs ont été converties en dollars canadiens au taux d’aujourd’hui.

Vendre au mauvais moment

En 2020, une des pires années du secteur pétrolier avec un prix moyen du baril WTI d’environ 40 $ US, la Caisse a vendu 78 % de sa position dans Exxon et 92 % de ses actions dans CNOOC. Elle s’est également départie de 13 % de sa part dans Total.

En 2021, la Caisse a poursuivi son opération de délestage en vendant 70 % de ses participations dans Canadian Natural Resources, soit un peu moins de 13 millions d’actions, à un prix tournant autour de 46 $. Moins de six mois plus tard, les actions de CNQ se vendaient à un prix supérieur à 80 $.

En février dernier, le chef des marchés liquides à la Caisse de dépôt, Vincent Delisle, annonçait que l’institution profiterait de l’embellie du prix du baril pour sortir du pétrole complètement. À cette occasion, il a omis de dire que la Caisse avait vendu 80 % de ses actions pétrolières avant 2022.

La Caisse a mieux fait avec Suncor en attendant 2022 pour liquider ses actions (voir l’onglet suivant), mais cela ne pourra combler le manque à gagner découlant des ventes hâtives de CNQ, Exxon, CNOOC et, dans une moindre mesure, Total.

Pas de remords à la Caisse

« Nous sommes confiants que notre décision était la bonne d’un point de vue d’investisseur de long terme, a fait savoir la Caisse de dépôt par courriel. L’avenir est dans l’économie durable et nous devons tous contribuer aux solutions face aux défis climatiques. »

Le gestionnaire rappelle que le rendement des producteurs pétroliers a été pitoyable depuis 2018, à 0,4 %. « Les actifs d’intensité carbone très faible affichent un rendement très supérieur à ceux de forte intensité à l’intérieur de notre portefeuille des marchés boursiers », précise la Caisse. Celle-ci souligne que les actions pétrolières, prises dans leur ensemble, n’ont pas été vendues à perte.

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Quelques dates

2012 L’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) demande un débat sur la place du pétrole dans le portefeuille de la Caisse.

Février 2017 Le chef de l’époque du Parti québécois, Jean-François Lisée, demande à la Caisse de sortir des énergies fossiles.

Octobre 2017 La Caisse annonce son intention de réduire l’intensité carbone de son portefeuille de 25 % à moyen terme et de hausser ses investissements faibles en carbone de 50 % d’ici 2020.

Septembre 2021 La Caisse annonce sa sortie des sociétés extractrices de pétrole d’ici 2022, mais conserve ses avoirs dans le secteur gaz et les pipelines.

Février 2022 Vincent Delisle, chef des marchés liquides à la Caisse de dépôt, annonce que l’institution profitera de l’embellie du prix du baril pour sortir du pétrole complètement.

La Caisse n’est plus actionnaire de Suncor ni de Canadian Natural Resources

La Caisse de dépôt et placement du Québec vient de vendre ses dernières actions de Suncor et de Canadian Natural Resources.

Un document déposé vendredi auprès de la Securities & Exchange Commission par les dirigeants de la Caisse révèle que le gestionnaire institutionnel québécois ne détenait plus aucune action de deux des plus importants producteurs d’énergie au pays, au début de juillet.

C’est donc dire que la Caisse a vendu durant les mois printaniers ce qui lui restait d’actions de Suncor et de Canadian Natural Resources.

Au début d’avril, la Caisse détenait encore 3,8 millions d’actions de l’entreprise de Calgary propriétaire du réseau de stations d’essence Petro-Canada. Ce bloc d’actions avait alors une valeur marchande de plus de 150 millions de dollars.

Après avoir touché un sommet de 53,62 $ le 9 juin, l’action de Suncor a emprunté une tangente baissière. Elle se négocie aujourd’hui à une quarantaine de dollars à Toronto.

Aussi actionnaire de longue date de Canadian Natural Resources, la Caisse détenait toujours 2,6 millions d’actions de ce producteur d’énergie de Calgary à la fin de mars. Cette participation valait 200 millions au début d’avril.

Le titre de Canadian Natural Resources a atteint un sommet de 88,18 $ le 21 avril. L’action s’est depuis repliée et vaut aujourd’hui 70 $.

Le prix du baril de pétrole affiche lui aussi une baisse depuis son sommet de 130 $ US observé en mars. La valeur du baril de brut oscille présentement aux alentours de 90 $ US.

En liquidant totalement ses actions de Suncor et Canadian Natural Resources, la Caisse se conforme à sa promesse faite en septembre dernier de se départir de ses investissements dans les sociétés de production pétrolière avant la fin de l’année 2022.

Si la Caisse avait commencé à vendre des actions de sociétés pétrolières avant l’impressionnante poussée des prix de l’énergie depuis l’automne dernier et avant de révéler publiquement sa volonté de larguer le pétrole, l’organisation a néanmoins profité de l’appréciation boursière des titres pétroliers dans les derniers mois pour vendre le reste de ses actions de Suncor et de Canadian Natural Resources.

Le prix du baril de pétrole s’affichait à moins de 20 $ US il y a deux ans, au plus fort de la pandémie, alors que l’action de Suncor reculait à moins de 15 $ à la Bourse de Toronto et que le titre de Canadian Natural Resources chutait au même moment à moins de 10 $.