La débâcle de Celsius Network amplifie l’incertitude pour de petits investisseurs, impatients de savoir à combien s’élèveront leurs pertes. À tort, certains voyaient la présence de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) aux côtés de la cryptobanque comme un gage de stabilité.

« C’est une institution qui gère des régimes de retraite, je me suis dit qu’ils ne peuvent pas se permettre de faire n’importe quoi », raconte Samuel, un Montréalais qui chiffre en « milliers de dollars » les cryptoactifs qui sont gelés chez l’entreprise américaine.

Utilisateur de la plateforme depuis un an et demi, l’homme de 28 ans considérait Celsius Network comme une plateforme plus crédible que d’autres étant donné que des institutions comme le bas de laine des Québécois avaient décidé d’y investir.

Neuf mois après avoir reçu environ 200 millions CAN de la CDPQ, l’entreprise américaine, plongée dans une crise des liquidités provoquée par un effondrement du cours des cryptomonnaies, s’est placée sous la protection de la loi américaine sur les faillites, mercredi soir. Le 12 juin dernier, elle avait gelé les retraits de ses 1,7 million de déposants.

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En octobre dernier, Celsius Network avait récolté plus d’un demi-milliard CAN auprès de la CDPQ et du fonds Westcap.

« Je m’attendais peut-être à un plafonnement des retraits, mais je ne me serais jamais douté qu’on se rendrait à ce point », affirme Samuel, qui a demandé que son nom de famille ne soit pas publié.

À l’instar d’autres petits investisseurs, il espère récupérer une partie de ses billes, mais est conscient que ce scénario pourrait ne pas se produire.

C’est aussi le cas de Kevin. Préoccupé les rumeurs qui circulaient à propos de potentiels problèmes chez Celsius Network, ce dernier a retiré une partie de ses actifs, sans aller jusqu’au bout, puisque le patron de la plateforme répétait que tout était sous contrôle. Il jugeait aussi que la présence de la CDPQ aux côtés de la cryptobanque était rassurante.

« Je me disais que Celsius avait probablement rendu des comptes à la Caisse, raconte l’homme. Cela venait valider mes pensées que la plateforme était peut-être plus fiable. »

Un portrait sombre

Jeudi, la CDPQ, qui gère des régimes de retraite et d’assurance publics et parapublics, refusait toujours de s’expliquer sur son investissement dans Celsius Network, qui est sérieusement compromis. L’institution est muette depuis que son partenaire a gelé les retraits de ses clients.

Les déposants, eux, risquent de se retrouver les mains vides. On ignore s’ils pourront retirer leurs actifs si Celsius Network survit. Les conditions d’utilisation de la société indiquent qu’une situation d’insolvabilité pourrait provoquer « la perte totale de tous les actifs numériques » d’un portefeuille.

Ces petits investisseurs doivent se préparer au pire. Selon un document déposé auprès des tribunaux new-yorkais, la cryptobanque doit 4,7 milliards US en monnaie virtuelle à ses clients, mais n’a que 1,7 milliard US d’actifs dans ses coffres.

Professeur en finance et analyste des cryptomonnaies à l’ESG UQAM, Alexandre F. Roch estime que les utilisateurs de Celsius Network et des autres plateformes du genre dans la tourmente ne doivent pas se faire d’illusions.

« C’est difficile de se restructurer pour ces entreprises, dit-il. C’est comme tenter de remettre le dentifrice dans le tube. Une fois que la confiance s’évapore, c’est difficile. Pour relancer Celsius, ça prendra aussi beaucoup de volonté des investisseurs. Est-ce qu’elle sera au rendez-vous ? »

Pas de contrôle

Les cryptobanques comme Celsius s’inspirent du modèle des banques traditionnelles. Elles mettent en commun les dépôts de cryptomonnaies comme le bitcoin et offrent des prêts et des intérêts, souvent supérieurs à 10 %, aux déposants. Le hic, c’est que ces nouveaux acteurs ne sont pas réglementés et que rien ne protège l’argent des déposants.

Alexandre Lacasse évalue à 50 000 $ la valeur des actifs confiés à la cryptobanque. Celui-ci critique le manque de transparence de Celsius Network et de son cofondateur et chef de la direction Alex Mashinsky.

CAPTURE D’ÉCRAN DE TWITTER

Le 11 juin dernier, avant de geler les retraits des déposants de Celsius Network, le grand patron Alex Mashinsky prétendait que tout était en règle.

« Il avait répété à plusieurs reprises sur ses vidéos que les placements sur Celsius étaient très sûrs et que cette situation [le gel des retraits] ne se produirait jamais », rappelle M. Lacasse.

C’est tout le contraire qui s’est produit. L’Autorité des marchés financiers (AMF), qui avait déjà eu des échanges avec Celsius Network entourant sa « conformité » au Québec, a fait savoir, jeudi, qu’elle continuait de « suivre la situation de près ». Le gendarme boursier a répété que l’on pouvait « perdre la totalité de son investissement » avec des cryptoactifs.

En savoir plus
  • 420 milliards
    C’est l’actif net de la CDPQ au 31 décembre dernier.
    SOURCE : CAISSE DE DÉPÔT ET PLACEMENT DU QUÉbec