(Ottawa) D’ici quelques mois, le Canada sera en mesure de réduire considérablement sa dépendance à l’égard d’entreprises étrangères qui ont recours au travail forcé pour la fabrication d’équipements de protection individuelle.

La multinationale AMD Medicom, de Montréal, annonce qu’elle investira 120 millions de dollars afin de construire une usine à London, en Ontario, où seront fabriqués des gants en nitrile, utilisés en grand nombre par les travailleurs de la santé.

Cette usine, qui aura à terme une capacité de production d’un milliard de gants par année, sera gérée par une nouvelle filiale, Manikheir Canada inc. Il s’agira de la toute première usine de fabrication de gants en nitrile en Amérique du Nord.

Le gouvernement Trudeau s’est retrouvé dans l’embarras l’an dernier après avoir accordé des contrats d’une valeur de 240 millions de dollars à la filiale canadienne d’une entreprise de Malaisie, Supermax Corp., qui aurait recours au travail forcé pour la fabrication de gants en nitrile.

La controverse a d’ailleurs mené le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement à résilier en janvier des contrats en suspens qui avaient été accordés à Supermax Healthcare Canada, qui a pignon sur rue à Longueuil et qui s’approvisionnait auprès de l’entreprise malaisienne.

Le gouvernement du Québec avait aussi accordé de lucratifs contrats à Supermax Healthcare Canada totalisant 330 millions de dollars pour l’achat d’équipements de protection individuelle durant la première année de la pandémie de COVID-19.

Le gouvernement de l’Ontario s’est engagé à acheter la moitié de la production annuelle de l’usine (500 millions de gants) pour son réseau de la santé, ce qui a conduit à la décision d’AMD Medicom d’installer son usine à London.

En tout, 145 emplois directs seront créés. Durant la construction de l’usine, qui s’amorcera sous peu, on prévoit la création de 1000 emplois. Une telle usine requiert un terrain d’une grande superficie.

Dans une entrevue accordée à La Presse, mercredi, le chef de l’exploitation d’AMD Medicom, Guillaume Laverdure, a affirmé que des pourparlers étaient en cours avec d’autres gouvernements qui pourraient déboucher sur d’autres ententes, notamment avec Québec.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES LA PRESSE

Le siège social de Medicom, à Montréal

Et au besoin, l’usine pourrait être agrandie si la demande s’avère plus forte. « Nous sommes en discussion avec toutes les organisations gouvernementales canadiennes, fédérales et provinciales, pour offrir cette capacité de production locale canadienne. […] C’est une usine qui peut être agrandie au fur et à mesure. On pourra encore en augmenter la capacité. Mais pour l’instant, ce n’est pas confirmé », a expliqué M. Laverdure.

Il a souligné que l’éventuelle production locale de ce genre d’équipements de protection individuelle constituait une étape importante pour que le Canada soit davantage autosuffisant.

« C’est une annonce qui est stratégique pour le Canada, pour l’Ontario et pour Medicom. Il n’y a pas de production locale de gants en nitrile. Les pays occidentaux sont largement dépendants de l’importation de l’Asie du Sud-Est : Malaisie, Chine, Thaïlande… Au moment de la COVID, on a vu que les ruptures de chaînes d’approvisionnement, les pratiques déontologiques chez la plupart des fournisseurs dans ces pays faisaient en sorte que la population canadienne n’avait pas accès à des produits en quantité suffisante faits avec un respect environnemental et sociétal complet », a soutenu M. Laverdure.

C’est donc un projet qui permet de redonner de l’autonomie médicale, comme on dit, et de la résilience de la chaîne d’approvisionnement dans un environnement respectueux des engagements sociétaux et environnementaux. C’est très important.

Guillaume Laverdure, chef de l’exploitation d’AMD Medicom

M. Laverdure a indiqué que Medicom établirait aussi cette année une usine similaire à Bessé-sur-Braye, dans le département de la Sarthe, en France, afin de fournir le gouvernement français en gants en nitrile fabriqués localement pour les mêmes raisons. C’est d’ailleurs pour cela qu’il se trouve en France cette semaine.

AMD Medicom, qui est un fournisseur important pour les systèmes de soins de santé et les bureaux de dentiste du monde entier, s’approvisionne aussi auprès d’entreprises étrangères établies en Asie du Sud-Est pour des gants en latex, en nitrile et en vinyle.

« Nous avons une politique de zéro tolérance sur les enjeux sociétaux et environnementaux. Les fournisseurs avec qui on fait affaire doivent s’engager à un code de conduite irréprochable qui correspond aux exigences les plus strictes édictées par les Nations unies. Il y a aussi l’obligation de se soumettre à des audits aléatoires pour qu’on soit sûrs que les conditions dans lesquelles les produits sont fabriqués correspondent à nos exigences », a-t-il expliqué.

Ces audits ont permis de détecter à l’occasion des manquements, qui ont conduit AMD Medicom à suspendre les achats auprès des fournisseurs fautifs jusqu’à ce que les problèmes relevés soient corrigés.

En octobre dernier, la U.S. Customs and Border Protection a décidé de saisir des gants jetables fabriqués par Supermax Corp. et ses filiales à tous les points d’entrée aux États-Unis après avoir été mise au courant des allégations de travail forcé. Le travail forcé est considéré comme une forme moderne d’esclavage par l’Organisation internationale du travail, agence spécialisée de l’ONU.

Au Canada, le gouvernement Trudeau a décidé de suspendre les contrats un mois plus tard, soit en novembre, dans la foulée de la décision des autorités américaines, même si des allégations similaires avaient été portées à son attention au début de janvier 2021.