Après avoir fait carrière durant 30 ans chez Alcan et Rio Tinto Aluminium où il a succédé à Jacynthe Côté comme directeur général du groupe, l’ingénieur-chimiste Gervais Jacques vient d’être nommé PDG de 5N Plus, une entreprise méconnue d’un secteur pourtant critique, celui de la production de semi-conducteurs spécialisés et de matériaux de haute performance.

« On fait des produits critiques pour des industries critiques », résume Gervais Jacques pour expliquer ce que fabrique exactement 5N Plus, une entreprise issue il y a 20 ans du rachat par ses cadres de la division Haute pureté de la société minière Noranda.

« C’est Jacques L’Écuyer qui a eu la vision au début des années 2000 de racheter le programme de valorisation des résidus de la fonderie de cuivre de Noranda à Montréal pour extraire du tellure, un semi-conducteur qui offre un très bon rendement énergétique », explique le PDG qui occupait le poste de façon intérimaire depuis décembre 2021.

« 5N Plus, cela veut dire que l’on raffine et purifie des minéraux qui affichent une pureté qui excède les 99,999 %, à partir de sous-produits de la transformation du cuivre ou du zinc.

« Dans nos laboratoires à Montréal, on produit notamment du tellure, du germanium, du cadmium, du bismuth, des minéraux critiques pour l’industrie aérospatiale, la production de cellules photovoltaïques, la production d’appareils d’imagerie médicale, d’ingrédients pharmaceutiques », explique Gervais Jacques.

Fait à souligner, 5N Plus est responsable de 80 % de la production mondiale de bismuth qui sert à la fabrication de médicaments pour la digestion, notamment le célèbre Pepto-Bismol…

Au fil des ans et dans la foulée d’un financement public en novembre 2007, 5N Plus a réalisé plusieurs acquisitions qui lui ont permis de consolider sa position de chef de file mondial.

Une présence mondiale et dans l’espace

L’entreprise située à Montréal, avec son laboratoire et son usine de raffinage de minéraux, emploie 160 chercheurs et spécialistes, mais a aussi des antennes aux États-Unis et en Europe qui portent à 850 le nombre total de ses employés.

« On a deux usines aux États-Unis, une qui produit des substrats de germanium qui servent à la fabrication de cellules solaires pour satellites et une autre au Connecticut qui produit du bismuth.

« On avait une forte présence en Allemagne avec trois usines dont une qui produit du cadmium-tellure pour la production de panneaux solaires terrestres, une autre qui produit du bismuth et une troisième qui fabrique des suppléments nutritifs pour animaux.

En septembre dernier, on a fait l’acquisition en Allemagne d’Azur Space, une entreprise qui fabrique des semi-conducteurs complets pour les panneaux solaires satellitaires. On était leur fournisseur en germanium et là on devient fabricant de cellules photovoltaïques complètes pour les satellites où on a près de 40 % du marché mondial.

Gervais Jacques, PDG de 5N Plus

Les panneaux solaires terrestres qui utilisent des cellules photovoltaïques à base de silicium et qui sont principalement fabriqués en Chine se font faire une concurrence accrue par les panneaux qui utilisent des cellules solaires à base de cadmium-tellure.

Pour sa part, 5N Plus est le fournisseur de First Solar, le plus gros fabricant de panneaux solaires terrestres à base de cadmium-tellure au monde.

« On a 50 % du marché mondial des semi-conducteurs pour les panneaux solaires à base de cadmium-tellure, un produit nettement plus écoresponsable. Il faut 100 unités d’eau pour produire une unité de silicium alors que notre tellure-cadmium est fabriqué en boucle fermée et que sa conductivité est nettement plus grande », souligne le PDG.

Les cellules solaires qui utilisent le germanium vont quant à elles occuper une place grandissante dans le marché de l’énergie solaire parce qu’on va pouvoir, grâce à un jeu de miroirs, réduire considérablement la taille des panneaux, ce qui va devenir particulièrement important en milieu urbain où on ne peut pas déployer de grandes surfaces de panneaux solaires.

« On a des avantages sur lesquels on table de plus en plus. Il y a cinq ans, on évaluait un produit en fonction de sa qualité et de son prix. Aujourd’hui avec les bouleversements géopolitiques et environnementaux, on tient compte de la sécurité nationale, de l’empreinte carbone, de la production responsable. Tout ça fait partie de l’équation maintenant », observe Gervais Jacques.

« C’est comme pour les terres rares, on veut de plus en plus se distancier de la Chine et devenir autosuffisant. »

Développer des partenariats

Avant de devenir le grand patron du groupe Aluminium chez Rio Tinto, Gervais Jacques a été durant cinq ans le chef des ventes mondiales de bauxite, d’alumine et d’aluminium où il a mis en place de grands partenariats avec des clients stratégiques.

« On a développé chez Rio Tinto de grands partenariats avec Nespresso et Apple, notamment. La production mondiale de dosettes chez Nespresso est assurée par la production du Saguenay. Avec Elysis, les téléphones Apple vont être fabriqués avec l’aluminium vert du Saguenay. Je veux faire la même chose avec 5N Plus », dit le PDG.

À cet égard, 5N Plus est déjà fort bien nantie en termes de clientèle prestigieuse puisqu’elle fournit notamment Airbus, First Solar, BASF, GE, Samsung et le géant de l’optique Essilor.

L’entreprise, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 210 millions US en 2021, devrait augmenter ses revenus de façon conséquente cette année avec l’acquisition d’Azur Space qui a enregistré des revenus de 70 millions US l’an dernier.

Gervais Jacques, qui est également président du conseil de Nemaska Lithium depuis un an maintenant, confirme que son entreprise œuvre dans un secteur de niche, mais que cette niche s’agrandit sans cesse.

« Il s’est vendu 60 millions de tonnes d’aluminium l’an dernier contre 1200 tonnes de tellure. On n’est pas dans les mêmes ordres de grandeur, mais on dessert des marchés critiques et stratégiques qui vont continuer de croître et nos gros clients veulent travailler avec nous », insiste-t-il.