La filière québécoise Le masque d’Élite

À l’heure où les chaînes internationales d’approvisionnement sont menacées, des fabricants québécois entreprennent des courses à relais où chaque fournisseur ajoute sa part à la pièce du précédent pour aboutir au produit final. Nous remontons une de ces filières, qui mène en quatre étapes à l’autocar X3-45 de Prevost, prêt à être livré. Aujourd’hui : la face avant en fibre de verre d’Élite Composite.

C’est l’odeur qui frappe, dès l’entrée. Cette prégnante effluve de styrène qui caractérise tous les mouleurs de fibre de verre, mais qui ne semble pas incommoder le moins du monde la souriante femme qui nous accueille à la réception…

Élite Composite est le deuxième maillon de la chaîne de fournisseurs qui nous mènera à un autocar Prevost frais peint.

Membre du groupe Dimension Composite, l’entreprise moule la coquille en matériau composite qui forme la face avant du véhicule – une espèce de masque en fibre de verre, à l’intérieur duquel sont ajoutées les plaques d’acier que fabrique Estampro, à 25 km de distance.

L’usine de Sainte-Clotilde-de-Beauce compte 120 employés. Tant sur la carte routière que dans la chaîne d’approvisionnement, elle est située entre Estampro, à Saint-Évariste-de-Forsyth, et Prevost, à Sainte-Claire, quelque 75 km plus loin.

« On fait affaire avec Prevost depuis plusieurs années, et étant donné que c’est une compagnie qui est proche de nous géographiquement, c’est intéressant comme partenariat », souligne Guillaume Tremblay, directeur de l’ingénierie chez Élite. « La collaboration est simple, et il y a moyen de se visiter facilement. »

Élite Composite œuvre « surtout dans le domaine du transport », informe notre homme. L’entreprise travaille en sous-traitance pour le transport urbain avec NovaBus, sur rail avec Alstom, et même sur l’eau avec des coques d’embarcations électriques pour Vision Marine Technologies.

Dans l’usine

La vaste usine est étonnamment lumineuse. « C’est important, commente Guillaume Tremblay. On fait des pièces qui demandent un haut degré de finition. On appelle ça des pièces de classe A. »

Elles sont en cours de fabrication dans tous les coins.

« Pour Prevost, on fait presque l’extérieur de l’autobus au complet. »

Élite manufacture ses faces avant et arrière, les panneaux de caisse latéraux, les portes des soutes à bagages. Pour chaque pièce, il faut un moule.

L’un de ceux-là semble interminable. Comme une longiligne cuvette de près de 14 mètres de longueur, il sert à former par moulage contact les panneaux de caisse des autocars. « Ça fait la longueur de l’autobus », indique notre guide.

Un autre moule se referme comme une huître. Une fois badigeonné d’un enduit gélifié et garni de tissus de fibre de verre, il se clôt hermétiquement pour recevoir une injection de résine. Celui-là sert à mouler les portes de la soute.

Élite fournit ainsi chaque jour à Prevost l’habillage de trois ou quatre autocars.

« C’est quand même de bonnes cadences, pour les matériaux composites, constate Guillaume Tremblay. Il y a beaucoup d’interventions humaines, d’opérations avec une certaine expertise qui doivent être faites sur les pièces. »

La production s’effectue sur le mode juste-à-temps : aussitôt fabriqué, aussitôt livré. « Il n’y a pas de stock qui se bâtit, ni chez nous ni chez Prevost, constate le directeur de l’ingénierie. Il faut être capable de suivre la parade. Manquer une livraison sur un autobus, ça impacte un paquet d’autres entreprises qui fournissent aussi des pièces pour cet autobus-là. »

Le masque

Justement, la face avant d’un autocar Prevost est en cours de laminage dans un moule grand comme… la face avant d’un autocar. Des membrures structurales, moulées indépendamment par injection, ont été ajoutées en renfort. La fibre de verre déborde du moule comme une abaisse fraîchement déposée dans un moule à tarte.

Une fois solidifiée et démoulée, la vaste pièce doit être détourée, ses ouvertures soigneusement découpées. Une autre section de l’usine est consacrée à ces opérations, où les scies et les toupies font entendre leurs stridentes lamentations.

Une part importante du travail de découpage est effectuée par des robots à jet d’eau, « mais un bon pourcentage doit quand même être fait par intervention humaine », détaille Guillaume Tremblay.

C’est à cette étape que sont ajoutés les éléments métalliques fabriqués par Estampro.

« Pour des pièces de la taille de cette face avant, il faut arriver à des précisions inférieures à 1 mm, tant pour les découpes que pour les assemblages », souligne-t-il.

La finition est une tâche délicate, minutieuse, à laquelle Kathy Couture-Grondin s’emploie avec un petit outil à lame rotative sur la face d’un autocar H3-45. « Je suis très perfectionniste, dit-elle. Je vois tout le temps ça comme si c’était moi qui allais l’acheter. »

Chez Élite depuis cinq ans, la jeune femme ne regrette pas son ancien métier de serveuse de restaurant. « Même si je suis de mauvaise humeur, ma pièce est toujours gentille avec moi ! »

Tout à côté, la face avant pratiquement terminée d’un X3-45, maintenue dans un portique sur roulettes, est de retour de la salle de peinture où elle a reçu sa couche d’apprêt. Encore quelques retouches effectuées par un employé, et ce grand masque pourra être expédié.

Nos pièces métalliques sont bien là, collées au verso : au centre, deux solides plaques munies d’écrous ; sur les flancs, deux petites structures plus complexes.

On ne sait toujours pas à quoi elles servent. Nous l’apprendrons chez Prevost.