Les tomates ou les sacs de pain qui atterrissent en magasin après plusieurs jours de retard, souvent causé par des problèmes dans la chaîne d’approvisionnement, ont plus de risques de prendre le chemin de la poubelle. En raison de ce nouveau phénomène appelé « duraflation », près de 63 % des Canadiens ont jeté des aliments considérés comme moins frais au cours des six derniers mois.

Ainsi, de grandes quantités de fruits et de légumes, de produits laitiers et même de pain ont été jetés par les consommateurs, pour une valeur d’environ 545 millions. C’est du moins ce que révèle une étude menée par le Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, en collaboration avec Angus Reid, dont les résultats seront publiés ce jeudi. Selon Sylvain Charlebois, directeur principal du Laboratoire, cette proportion de gens qui sacrifient des aliments « de façon précoce » est anormalement élevée.

M. Charlebois établit un lien direct entre les perturbations qui touchent la chaîne d’approvisionnement et le gaspillage alimentaire. Comme les aliments mettent plus de temps à atterrir dans les étals et sur les tablettes, ils arrivent moins frais ou plus mûrs et leur durée de vie, une fois dans le frigo ou le garde-manger, est beaucoup moins longue que d’habitude.

Certains détaillants ont également fait ce constat, confirme Michel Rochette, président pour le Québec du Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), qui représente les grandes enseignes comme Metro, IGA, Provigo, Costco et Walmart.

« On appelle ça de la “duraflation” – terme inventé par l’équipe de chercheurs – parce que la durée de vie est compromise par la lenteur des chaînes », explique M. Charlebois en entrevue avec La Presse.

C’est normal d’avoir des problèmes de chaîne d’approvisionnement, mais j’ai l’impression que la pandémie a empiré les choses en raison des délais. Il y a eu le manque de main-d’œuvre qui a ralenti les choses. Et lorsqu’on ralentit les choses, on voit qu’il y a peut-être des produits qui sont exposés au soleil, qui sont dans un camion ou un entrepôt plus longtemps.

Sylvain Charlebois, directeur principal du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie

Les réponses obtenues lors du sondage ont surpris le chercheur, bien qu’il ne dispose d’aucune donnée pour établir des comparaisons. Son laboratoire ne s’était encore jamais intéressé au phénomène de la « duraflation ». « En temps ordinaire, j’ai l’impression que le pourcentage est beaucoup plus bas que ça », admet-il en faisant référence au sondage indiquant que 63 % des Canadiens ont jeté des aliments au cours des six derniers mois.

Au Québec, ce sont 66 % des répondants qui disent s’être débarrassés de certaines denrées et près du quart l’ont fait cinq fois ou plus. La Belle Province compte parmi les endroits où un plus grand nombre de gens auraient jeté de la nourriture avec les Maritimes (70 %), l’Ontario (62 %) et l’Alberta (62 %).

Les fruits et légumes comptent parmi les aliments les plus sacrifiés par les consommateurs (45 %), suivis des produits laitiers (31 %). En dollars, les chercheurs ont estimé qu’on avait jeté prématurément des aliments d’une valeur oscillant entre 305 et 545 millions. On n’a toutefois pas calculé les pertes financières par ménage ou encore de façon hebdomadaire.

En épicerie

Dans les magasins, on a également observé les effets produits par les perturbations de la chaîne d’approvisionnement sur les aliments. « Les délais dans la chaîne paraissent plus quand il s’agit d’un produit périssable, souligne M. Rochette. Un produit qui arrive un jour en retard sur les tablettes, c’est un produit qui est propre à la consommation un jour de moins. »

Il ajoute néanmoins que le problème n’est pas unique à une enseigne ou à un magasin en particulier.

Ce ne sont pas des phénomènes qui vont se résorber en peu de temps. Il va falloir être patients.

Michel Rochette, président pour le Québec du Conseil canadien du commerce de détail

Du côté des distributeurs, Courchesne Larose, entreprise d’importation et de distribution de fruits et de légumes, a jusqu’à maintenant été épargnée par ce nouveau phénomène. « Nos produits arrivent selon les horaires prévus », assure Denis Pageau, vice-président exécutif chargé des projets spéciaux.

Le Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie a pour sa part l’intention de continuer à analyser des données concernant la duraflation.