(Ottawa) La vigueur de la reprise de l’économie canadienne permet non seulement de revoir à la baisse les déficits historiques du gouvernement fédéral enregistrés depuis le début de la pandémie de COVID-19, mais laisse entrevoir un possible retour à l’équilibre budgétaire dans un horizon de cinq ans, selon les projections dévoilées mardi par la ministre des Finances, Chrystia Freeland.

Après avoir enregistré un déficit record de 327,7 milliards de dollars en 2020-2021 – 27 milliards de moins que ce qui était prévu dans le budget déposé en avril –, le manque à gagner devrait s’établir à 144,5 milliards durant le présent exercice financier, qui prend fin le 31 mars, soit 10 milliards de dollars de moins qu’anticipé il y a huit mois.

La lutte contre la COVID-19 au cœur de l’action d’Ottawa La dette coûtera plus cher

Le déficit devrait atteindre les 58,4 milliards de dollars en 2022-2023, 43,9 milliards en 2023-2024 et 29 milliards en 2024-2025. Il devrait ensuite continuer à diminuer en 2025-2026 et s’élever à 22,7 milliards de dollars, et friser les 13 milliards de dollars en 2026-2027. Un tel déficit pourrait se transformer en un budget équilibré si la croissance économique était plus forte que prévu et que le gouvernement fédéral s’en tenait à son cadre financier avec discipline.

Durant cette période, la dette accumulée aura plus que doublé, passant de 721 milliards de dollars avant la pandémie à 1358,9 milliards en 2026-2027. Ce boulet financier aura des conséquences importantes : les frais de la dette doubleront en l’espace de sept ans, bondissant de 20,4 milliards en 2020-2021 à 40,9 milliards de dollars en 2026-2027. Mais selon les calculs du ministère des Finances, la dette fédérale en proportion de la taille de l’économie canadienne (le produit intérieur brut) sera gérable, à 44 %.

La ministre Freeland a été contrainte de présenter sa mise à jour économique d’une manière virtuelle à la Chambre des communes après que deux de ses proches collaborateurs ont obtenu un résultat positif à un test de dépistage de la COVID-19.

Mme Freeland s’est notamment félicitée de voir que le Canada avait récupéré 106 % des emplois perdus au plus fort de la pandémie. Un résultat nettement plus impressionnant qu’aux États-Unis, où seulement 83 % des emplois perdus ont été récupérés jusqu’ici.

« Le Canada s’est largement remis des dommages économiques que lui a infligés la COVID-19 et il est sur le point de connaître une croissance vigoureuse au cours des prochains mois », a soutenu la ministre dans son discours.

Même si l’encre rouge coule encore à flots à Ottawa, la ministre a soutenu que le gouvernement gère les finances publiques d’une manière responsable.

Nous savons que les Canadiens travaillent fort pour gagner leur vie et s’attendent à ce que nous fassions attention à leur argent. Nous avons le devoir de faire ce qu’il faut, pour aujourd’hui et pour demain.

La ministre des Finances, Chrystia Freeland

« Nous demeurons déterminés à respecter les points d’ancrage budgétaires que nous avons définis dans le budget de ce printemps, à avoir la réduction du ratio de la dette fédérale au PIB à moyen terme et l’atténuation des déficits liés à la COVID-19. […] Notre gouvernement continuera d’être un gestionnaire financier responsable », a-t-elle ajouté.

Depuis leur arrivée au pouvoir, en 2015, les libéraux de Justin Trudeau n’ont jamais présenté un budget équilibré. Durant son premier mandat, le gouvernement libéral avait promis de modestes déficits avoisinant les 10 milliards de dollars par année pour effectuer des investissements stratégiques et de rétablir l’équilibre budgétaire durant la dernière année de ce mandat. Mais les déficits ont plutôt oscillé autour des 20 milliards par année et la promesse d’un retour à un budget équilibré a été jetée aux orties.

La pandémie de COVID-19 a par la suite forcé le gouvernement fédéral à ouvrir les vannes d’une manière sans précédent pour soutenir les familles, les travailleurs et les entreprises tandis que l’on fermait essentiellement l’économie pour éviter le pire.

Dans la mise à jour économique, la ministre Freeland a d’ailleurs annoncé 4,5 milliards de dollars pour contrer les effets du nouveau variant Omicron, plus transmissible, et met de côté 5 milliards de dollars pour financer la reconstruction des régions de la Colombie-Britannique dévastées par de récentes inondations. Mme Freeland met également de côté 20 milliards de dollars pour des indemnisations à des enfants autochtones, comme le stipule une décision des tribunaux, et 20 milliards sur cinq ans pour améliorer les services à l’enfance dans les communautés autochtones à travers le pays.

Selon Robert Asselin, premier vice-président du Conseil canadien des affaires et ancien conseiller de l’ex-ministre des Finances Bill Morneau, les projections contenues dans la mise à jour économique de Mme Freeland ne tiennent pas la route.

Il a souligné qu’elle a omis dans ses calculs les quelque 78 milliards de dollars que doivent coûter les diverses promesses des libéraux durant la dernière campagne électorale. Elle ne tient pas compte non plus d’une éventuelle hausse des transferts en santé des provinces. Enfin, elle ne tient pas compte non plus des coûts importants associés à la transition énergétique.

« Ce gouvernement a encore un problème de dépenses », a soutenu M. Asselin, qui a également été conseiller de Justin Trudeau avant qu’il ne devienne premier ministre. « Il dépense encore beaucoup trop. Les promesses électorales, les coûts de la transition énergétique et la pandémie, tout cela veut dire que les déficits ne vont pas diminuer aussi vite et qu’ils seront beaucoup plus importants que ce qui est prévu », a-t-il analysé.

« À mon avis, les projections à long terme ne tiennent pas la route, malgré les bonnes nouvelles au chapitre des revenus », a-t-il soutenu, évoquant au passage qu’il existe bel et bien un déficit structurel important à Ottawa.

Durant une séance d’information, un haut fonctionnaire a soutenu que le retour à l’équilibre budgétaire à proprement parler n’était pas un objectif du gouvernement. Il a fait valoir que le niveau de la dette en proportion du PIB était le principal ancrage financier. « Ce qui importe, c’est la composition des dépenses qui sont réalisées et si elles contribuent à améliorer les fondements de l’économie canadienne », a dit ce haut fonctionnaire, qui ne peut être identifié.