Plusieurs centaines de voyageurs qui allèguent avoir été lésés par leur compagnie aérienne avant la pandémie n’ont pas fini de ronger leur frein. Après presque deux ans d’analyse, l’Office des transports du Canada (OTC) renvoie la balle dans le camp des transporteurs – une décision critiquée par les défenseurs des droits des passagers.

Six compagnies aériennes auront donc jusqu’au 15 février pour « reconsidérer » les plaintes, a décidé l’organisme chargé de la protection des voyageurs, dans une décision rendue le 17 novembre dernier où il interprète huit dispositions de la charte des voyageurs.

« Je ris pour ne pas en pleurer parce que je trouve cela extrêmement triste pour les consommateurs », déplore le président-directeur général de l’entreprise Vol en retard, Jacob Charbonneau. « Au bout de l’enquête, on ne tranche même pas. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Jacob Charbonneau, président-directeur général de Vol en retard

L’OTC interprète huit dispositions du Règlement sur la protection des passagers aériens (RPPA), qui prévoit entre autres des indemnisations en cas de retard ou des remboursements en cas d’annulation de vols, qui a provoqué une explosion des plaintes chez les voyageurs.

Selon l’OTC, responsable de l’application de la charte des voyageurs, le transporteur doit prouver qu’il a déployé tous les efforts pour brosser un portrait de la situation aux voyageurs dans le cas de retards ou d’annulations.

« Il n’y a pas de présomption selon laquelle le transporteur a pris toutes les mesures raisonnables », indique la décision de 44 pages.

Celle-ci découle d’une enquête qui s’est penchée sur 567 plaintes concernant des vols exploités par Air Canada, Air Transat, WestJet, Sunwing, Swoop et United Airlines. On allègue que les transporteurs aériens avaient omis de communiquer avec précision les raisons des retards ou des annulations de vols.

Nombreux mécontents

En vigueur depuis le 15 décembre 2019, le RPPA avait provoqué une explosion de plaintes chez les voyageurs. En date du 13 février 2020, l’OTC avait reçu le nombre « sans précédent » de 3037 plaintes. L’organisme a pris plus d’un an après le dépôt du rapport de son enquêteur avant de trancher.

« Je trouve que les lignes directrices de la décision demeurent vagues, estime M. Charbonneau. On évoque des expressions comme “faire des efforts raisonnables” ou “fournir assez d’éléments”. On n’encadre pas clairement les obligations des transporteurs. »

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Si des dossiers ne sont pas réglés d’ici le 15 février, les plaignants pourront à nouveau se tourner vers l’OTC. Cela allongera les délais d’un an ou deux, croit Vol en retard. Quant aux quelque 2500 plaintes qui n’ont pas été étudiées pendant l’enquête, l’organisme fédéral « encourage » les transporteurs à les analyser de nouveau.

Carl-Michel Cloutier fait partie de ceux qui ont déposé une plainte avant le 13 février. En rentrant du Mexique en janvier 2020, le vol de M. Cloutier, de sa conjointe et de leur fillette de 18 mois a été détourné vers Winnipeg, où ils sont demeurés pendant la nuit avant de rentrer à Montréal.

« Je suis déçu de la décision, déplore-t-il. Les transporteurs vont encore remettre la balle dans le camp de l’OTC pour rallonger les délais et gagner du temps. »

Dans le contexte actuel, « chaque cas est un cas d’espèce qu’il faudra considérer à part », estime Vol en retard. Son dirigeant croit que c’est « malheureusement » avec le temps qu’il sera possible de savoir si la récente décision de l’Office se traduira par des avancées pour les consommateurs.

Plus clair, dit l’OTC

Pourquoi avoir demandé à l’industrie de réévaluer les plaintes déposées il y a maintenant plus de deux ans ? Dans un courriel, l’OTC a répondu qu’une « décision d’interprétation favoriserait une compréhension claire et uniforme des obligations » des transporteurs et des passagers.

L’organisme affirme que les plaignants concernés n’ont pas à entreprendre de démarches, puisqu’il « incombe aux transporteurs visés » de réévaluer les plaintes et de fournir des explications aux voyageurs.

Fondateur du site Droits des voyageurs et militant de longue date de la défense des droits de ces derniers, Gabor Lukacs n’est pas du même avis. Il estime que la décision vient une fois de plus démontrer que le RPPA manque de mordant.

« Cette décision est un écran de fumée pour masquer l’incapacité de l’OTC à prendre des mesures significatives au cours des deux dernières années, déplore M. Gabor. Elle ne fait rien de plus que dire aux compagnies aériennes de présenter de meilleures excuses pour ne pas verser d’indemnisation aux passagers. »

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Critiqué par l’industrie, le RPPA fait également l’objet d’une dispute judiciaire. Appuyés par des groupes comme l’Association du transport aérien international – qui compte 290 membres –, les transporteurs aériens tentent de faire invalider ce règlement. La Cour d’appel fédérale n’a pas encore fixé de date d’audience.

Avec la collaboration de Marie-Eve Fournier, La Presse

12 000

Nombre de dossiers qui n’avaient pas encore été traités par l’Office des transports du Canada en octobre dernier. Depuis le 15 décembre 2019, l’organisme a reçu plus de 32 200 plaintes.

Source : Office des transports du Canada