Même si le Canada s’est doté de nouvelles règles pour indemniser les voyageurs qui poireautent dans un terminal parce que leur vol est retardé, ce n’est pas évident de faire valoir ses droits. C’est ce que constatent des clients de Sunwing qui ont passé une nuit à l’aéroport de Winnipeg en rentrant du Mexique. Deux ans plus tard, ils n’ont toujours pas été indemnisés.

Normalement, les voyageurs auraient dû depuis deux ans intégrer dans leur vocabulaire un nouveau sigle : RPPA. Pour Règlement sur la protection des passagers aériens.

Attendu pendant des années, il protège – en théorie – contre une foule de situations désagréables : vol annulé à la dernière minute, retard, bagages perdus ou endommagés, surréservation, etc.

Consultez le Règlement sur la protection des passagers aériens (RPPA)

Or, seulement trois mois après son entrée en vigueur, en décembre 2019, la pandémie frappait et paralysait le trafic aérien. Son efficacité a donc été très peu mise à l’épreuve pour des évènements non liés à la COVID-19. Et sa notoriété demeure très faible.

Carl-Michel Cloutier fait partie de ceux qui ont eu le temps de vivre un désagrément qui, plaide-t-il, lui donne droit à quelques milliers de dollars. En janvier 2020, il rentrait de Puerto Vallarta, au Mexique, quand l’avion a été détourné vers Winnipeg. « On était au-dessus des États-Unis quand le pilote nous a dit que le système de dégivrage ne fonctionnait pas », relate le voyageur.

Une fois à Winnipeg, vers 21 h, Sunwing lui a donné « un coupon de 25 $ pour manger, même si tout était fermé ». Il a ensuite passé presque toute la nuit assis dans l’aéroport avec son amoureuse et sa fille de 18 mois. Ce qui n’a pas été particulièrement agréable, comme on peut l’imaginer.

Les passagers ont dû attendre pendant des heures qu’un autre avion puisse les ramener à Montréal. Ils y ont finalement mis les pieds vers 6 h le lendemain matin.

« Mon conjoint était censé rentrer au travail. Il a raté sa journée, raconte une autre passagère, Sandra Veillette. On était brûlés. On n’avait pas dormi de la nuit, couchés sur les bancs. » Ne sachant pas comment s’y prendre pour obtenir une indemnisation, et ne connaissant pas l’existence du RPPA, elle a d’emblée confié son dossier à Vol en retard, une entreprise montréalaise spécialisée dans les processus de réclamation.

Carl-Michel Cloutier s’est directement adressé à Sunwing, qui a refusé sa demande sur-le-champ.

Leur argument, c’est que l’avion a été détourné en raison des mauvaises conditions météo. C’est faux, le pilote nous a donné la raison et en plus, ils ont changé l’avion !

Carl-Michel Cloutier

Mais comment faire pour le prouver ? se demande-t-il.

4738 plaintes pour communications déficientes

Le RPPA prévoit des indemnités lorsqu’un passager arrive à destination avec plus de trois heures de retard si la perturbation est attribuable au transporteur et ne concerne pas la sécurité.

Plus tard, Sunwing a justement évoqué des « raisons de sécurité » dans un courriel transmis à Carl-Michel Cloutier. Et précisé que c’est lui qui « détermine l’état et la cause de la perturbation du vol ». Frustré par les réponses reçues, Carl-Michel Cloutier s’est lui aussi tourné vers Vol en retard.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Un appareil de la compagnie Sunwing

Vingt-deux mois plus tard, l’affaire n’est toujours pas réglée. L’Office des transports du Canada (OTC), l’organisme qui tranche lors de litiges entre des consommateurs et des compagnies aériennes, devra se prononcer.

Mais pour le moment, le dossier est « en attente ». Car une enquête a été ouverte par l’OTC en février 2020 « à la suite d’un déferlement de plaintes alléguant que les transporteurs aériens avaient omis de communiquer avec précision les raisons des retards ou des annulations de vol », a précisé l’Office à Carl-Michel Cloutier.

L’enquête porte sur 567 plaintes concernant des vols exploités par Air Canada, WestJet, Sunwing, Air Transat, Swoop et United Airlines. Mais à ce jour, pas moins de 4738 plaintes ont été transmises à l’OTC uniquement au sujet de communications déficientes.

Dans son rapport, l’enquêteur écrit qu’un « manque de préparation à l’entrée en vigueur du RPPA semble être à l’origine d’un certain nombre de problèmes de communication » de la part des transporteurs. Il suggère la création d’un « guide d’interprétation » du règlement afin de clarifier les choses. L’OTC est d’accord, jugeant que cela pourrait « faciliter le règlement efficace des demandes » qu’il reçoit.

Prochaine étape : « émettre une décision dans les plus brefs délais », m’a écrit l’OTC.

En ce qui concerne le vol WG526 en provenance de Puerto Vallarta qui s’est arrêté à Winnipeg, Sunwing a admis à l’OTC avoir commis une erreur en attribuant le retard aux conditions météorologiques, avant d’évoquer des raisons de sécurité.

« C’est l’exemple parfait du processus qui ne fonctionne pas », conclut Carl-Michel Cloutier, frustré de constater que les règles « ne sont pas claires » alors qu’il se croyait protégé.

Voici en terminant le conseil du président et fondateur du site Droits des voyageurs, Gábor Lukács : « Sur la base de leurs antécédents, je suggérerais aux passagers d’éviter les compagnies aériennes canadiennes lorsqu’ils le peuvent. Elles ne sont tout simplement pas fiables. Aucune des plus grandes compagnies aériennes n’est soumise à un examen minutieux. »

Alors que les voyages reprennent, l’OTC a visiblement du travail à faire pour que les consommateurs aient confiance d’être adéquatement protégés par le RPPA.

Avec la collaboration de Julien Arsenault, La Presse

Consultez le site de l’OTC

Une complexité anticipée

L’entreprise montréalaise Vol en retard, qui aide les voyageurs à obtenir les indemnités auxquelles ils ont droit, voyait venir les problèmes avec le nouveau Règlement sur la protection des passagers avant son entrée en vigueur. Elle avait d’ailleurs transmis une série de commentaires à l’Office des transports du Canada (OTC) dans l’espoir que des changements y soient apportés.

« Les dispositions ne permettront pas d’encadrer le droit des passagers aériens efficacement et adéquatement face aux pratiques discutables des compagnies aériennes », prévenait Vol en retard.

Dans son document de 17 pages, l’entreprise déplorait que les transporteurs n’aient « aucun fardeau de preuve sérieux » lorsqu’ils commettent une « infraction au règlement ». Elle suggérait que les compagnies aériennes aient le fardeau de « prouver leurs allégations de non-responsabilité » étant donné qu’elles sont « les seules à pouvoir fournir de telles preuves ».

Mais cette proposition n’a pas été retenue, déplore le PDG de Vol en retard, Jacob Charbonneau.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Jacob Charbonneau, PDG de Vol en retard

Il me donne un exemple simple qui illustre à merveille l’une des failles du règlement.

« Les bris mécaniques ne sont pas couverts, à l’exception des bris mécaniques qui ont été notés à l’entretien. Comment voulez-vous que monsieur et madame Tout-le-Monde connaissent cette information ?, demande le dirigeant. C’est pratiquement impossible […] Toutes ces choses-là, c’est très long et compliqué pour les passagers qui ont le fardeau de la preuve, mais qui n’ont pas accès à l’information. »

* * *

Vol en retard espérait des amendements afin que le processus soit aussi « efficace » que celui en Europe, entré en vigueur en février 2005. Mais finalement, le règlement canadien n’a rien à voir avec celui de l’Union européenne.

« C’est comme comparer des pommes et des oranges, affirme Jacob Charbonneau. Pour tout ce qui a trait au fardeau de la preuve, en Europe, c’est complètement l’inverse. Même lorsque c’est une circonstance exceptionnelle, la ligne aérienne doit non seulement prouver que c’est une circonstance exceptionnelle, mais elle doit prouver qu’elle a fait tout en son pouvoir pour régler la situation pour qu’il n’y ait pas de retard ou d’annulation. »

Président de l’Association des agents de voyages du Québec, Moscou Côté constate pour sa part que le RPPA « est rarement applicable » en raison du grand nombre d’exceptions. En plus, « le règlement n’a pas encore été interprété par les tribunaux », ce qui complique les choses, tandis qu’en Europe, il y a une tonne de jurisprudence.

Une nouvelle protection pour les consommateurs était néanmoins nécessaire, juge-t-il.

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Moscou Côté, président de l’Association des agences de voyages du Québec

C’est sûr qu’il y a eu de l’abus avec la surréservation. En moyenne, ça touchait 1 % des passagers. Avant la pandémie, il y avait 50 000 voyageurs par jour à Trudeau. C’est 500 personnes par jour.

Moscou Côté, président de l’Association des agences de voyages du Québec

En Europe, les indemnités prévues en cas de vol retardé, annulé ou de surréservation peuvent atteindre 600 euros (860 $) en fonction de la distance de votre vol et du nombre d’heures de retard à la destination finale.

Au Canada, les montants varient selon la durée du retard et les circonstances. Mais la façon dont le règlement est rédigé permet aux lignes aériennes d’« invoquer toutes sortes de choses pour s’en sortir », observe Jacob Charbonneau.

Attendue depuis longtemps et grandement nécessairement, la nouvelle protection des consommateurs comprend aussi une série de règles concernant les bagages, le transport des instruments de musique et l’attribution de sièges aux enfants, entre autres. Certaines sont entrées en vigueur le 15 juillet 2019, d’autres le 15 décembre 2019.

Les compagnies aériennes n’avaient pas tardé à faire connaître leur opposition. Dès août 2019, la Cour d’appel fédérale avait accepté d’entendre leurs critiques. À leur avis, le RPPA outrepasse l’autorité de l’OTC et contrevient à la Convention de Montréal, un traité international qui encadre le transport aérien. La date d’audience n’est pas connue.

Bref, les consommateurs ne s’estiment pas assez protégés, tandis que les transporteurs aériens trouvent le règlement trop contraignant. C’est normal que tout le monde tire la couverte de son côté. Mais ces divergences de points de vue sont loin d’être rassurantes pour tous ceux qui subissent les conséquences fâcheuses et parfois coûteuses d’un vol surréservé ou en retard.

Appel à tous

Que pensez-vous de la protection offerte aux voyageurs canadiens ? Vous avez fait une réclamation qui s’est retrouvée devant l’OTC ? Racontez-nous votre expérience.

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