L’industrie aérienne reprend son envol, mais l’organisme chargé de protéger les voyageurs fait-il son travail ? Un comité des Communes s’est posé la question, au point de suggérer que le rôle de l’Office des transports du Canada (OTC) avait été détourné afin de favoriser les transporteurs pendant la pandémie.

Les 12 membres de ce comité, formé d’élus du Parti libéral du Canada, du Bloc québécois, du Parti conservateur et du Nouveau Parti démocratique, estiment que l’OTC doit expliquer comment il empêche la « capture réglementaire », une expression utilisée lorsqu’une institution publique qui doit agir comme chien de garde de la collectivité devient au service d’intérêts privés. C’est donc une forme de corruption qui est évoquée.

« On se pose des questions, souligne le débuté bloquiste Xavier Barsalou-Duval, un des deux vice-présidents du Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités. Pendant la période pandémique, il y a eu beaucoup de décisions qui semblent avoir été prises pour les compagnies aériennes. »

Le hic, c’est que les recommandations du comité pourraient demeurer lettre morte. Au déclenchement de la campagne électorale fédérale, le 15 août dernier, le comité a techniquement cessé d’exister.

Intitulé « Sortir de la crise : une étude de l’impact de la pandémie de COVID-19 sur le secteur aérien », le rapport, publié en juin dernier, mais très peu médiatisé, contient 31 recommandations, dont celle visant directement l’Office et deux autres sur le droit au remboursement des voyageurs.

L’OTC est chargé d’appliquer le Règlement sur la protection des passagers aériens (RPPA). En vigueur depuis le 15 décembre 2019, il est à l’origine d’une explosion des plaintes de voyageurs. Depuis cette date, l’OTC dit avoir reçu près de 32 300 plaintes, et environ 12 000 dossiers n’ont toujours pas été traités.

Appuyées par des groupes comme l’Association du transport aérien international – qui compte 290 membres –, les compagnies aériennes tentent de faire invalider le RPPA, qui prévoit que les compagnies doivent offrir une compensation aux voyageurs en cas de retard ou d’annulation dont la cause est attribuable à l’entreprise. La Cour d’appel fédérale n’a pas encore fixé de date d’audience.

Des décisions jugées douteuses

Deux épisodes précis ont alerté le comité. Le premier remonte au printemps 2020, lorsque l’OTC avait estimé que les crédits de voyage offerts par les transporteurs ayant annulé des centaines de milliers de vols constituaient une forme de dédommagement convenable.

« C’est un revirement de positionnement de l’Office, qui ne reconnaît plus le droit des passagers à un remboursement et qui dit qu’un crédit, c’est suffisant », dit M. Barsalou-Duval.

En mars 2020, l’OTC avait décidé de suspendre temporairement, jusqu’au 30 juin 2020, une série de dispositions du RPPA entourant les indemnisations en cas de retard ainsi que les remboursements en cas d’annulation d’un vol. L’objectif était d’offrir une « flexibilité accrue » aux transporteurs.

Le deuxième concerne le délai de grâce de plusieurs mois accordé aux compagnies par l’OTC en juin 2020 dans le traitement des plaintes reçues. Pour M. Barsalou-Duval, il s’agit d’une autre « passe gratuite » à l’industrie.

Grâce à ses requêtes, le comité avait obtenu des échanges de courriels, lourdement caviardés, s’échelonnant du printemps 2020 jusqu’à l’hiver dernier entre les membres de l’Office et des représentants du cabinet du ministre des Transports de l’époque, Marc Garneau.

« C’est pas mal volumineux pour un office qui est censé être indépendant », affirme le député bloquiste.

Dans les règles

L’OTC a mis plusieurs jours à répondre aux questions de La Presse. Dans un courriel, l’Office s’est limité à répondre qu’il « s’acquitte de ses mandats de manière équitable et impartiale ».

L’organisme n’a pas précisément expliqué comment il empêchait la « capture réglementaire ». Dans sa réponse, il a plutôt expliqué qu’il « s’acquitte » de ses mandats en « s’engageant à respecter les codes de conduite qui mettent l’accent sur l’importance de valeurs telles que la transparence, les principes de justice naturelle et l’impartialité ».

L’OTC a notamment mentionné son « Code de valeur et d’éthique » ainsi que le « Code de déontologie » de ses membres.

Militant de longue date pour la défense des droits des passagers aériens, Gabor Lukacs a critiqué l’Office à maintes reprises. En entrevue téléphonique, le fondateur du site Droits des voyageurs a estimé que la recommandation du rapport témoigne que l’Office « est corrompu ».

« La capture réglementaire, c’est une manière polie de dire corruption, lance-t-il. L’Office a tous les pouvoirs pour intervenir, mais il prend très peu de mesures. »

Un suivi compromis ?

Plusieurs pistes de solution existent, selon M. Barsalou-Duval. Les représentants de l’organisme pourraient par exemple venir s’expliquer en comité parlementaire et « mettre sur papier », de « manière étoffée », les pratiques internes.

« Il faut plus que de belles paroles, affirme-t-il. Si l’on écarte le volet sanitaire, on devrait être revenus à ce qui ressemble à la normalité dans l’application réglementaire. »

Puisque le Parlement a été dissous, le comité devra à nouveau être formé. Les priorités pourraient donc changer. En théorie, la dissolution libère également Ottawa de son obligation de répondre aux rapports des comités.

Le cabinet du ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, et Transports Canada n’ont pas répondu aux questions de La Presse.

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