Le secteur du transport électrique et intelligent (TEI) a besoin d’investisseurs privés ayant l’expertise requise pour assumer le risque lorsque de nouvelles entreprises sont en démarrage.

Propulsion Québec, l’organisme qui représente la grappe industrielle du TEI, propose la création d’un fonds privé de 100 millions $ dont la mission première serait de soutenir les deux phases initiales pour lesquelles le financement est le plus difficile à trouver, soit l’amorce et le démarrage des entreprises.

Une étude approfondie de la chaîne de financement réalisée pour Propulsion Québec démontre que les besoins de capitaux des entreprises du secteur s’élèveront, au Québec seulement, à quelque 2,6 milliards d’ici 2026 et qu’il y aura un manque à gagner de 1,4 milliard sur ce total.

Amorce et démarrage, les maillons faibles

Comment un fonds de seulement 100 millions $ peut-il avoir un impact si le manque à gagner est littéralement 14 fois plus important ? C’est parce que, sur les quatre phases de développement identifiées – l’amorce, le démarrage, la croissance et la maturité – les deux premières sont aussi celles qui exigent le moins d’argent. Or, ce sont aussi celles pour lesquelles le financement privé est le plus difficile à dénicher, explique Simon Pillarella, directeur du financement et de la main-d’œuvre à Propulsion Québec.

« Ce sont des stades qui sont considérés comme risqués pour les investisseurs. Il y en a qui comprennent bien cette “game” –là, qui vont être prêts à mettre de l’argent à ce moment, mais ils ne sont pas faciles à trouver. »

Il ajoute qu’au-delà de l’aversion au risque, les investisseurs n’ont pas la patience requise pour la mise en place d’une entreprise dans un secteur émergent.

« Ce qui est difficile, souvent, pour obtenir du financement, c’est la profitabilité qui n’est pas là, qui est négative, qui est peu élevée et qui est exigée de façon trop hâtive par les investisseurs. »

Bien que le Québec ne manque pas de grands investisseurs privés ou institutionnels, ceux-ci préfèrent mettre leurs billes là où les bases sont déjà établies, explique la présidente-directrice générale de Propulsion Québec, Sarah Houde.

« Ils ne sont pas là dans les phases amorçage et démarrage, qui sont les phases les plus risquées, dit-elle. Ils arrivent plus tard et aussi, ils ne sont pas spécialisés dans notre secteur. Ils font du multisectoriel, plus large, donc leur connaissance fine de notre secteur est moins élevée. »

Manque d’expertise

Et c’est là qu’intervient la création d’un fonds privé pour agir en amont et dont la gestion doit être confiée à un investisseur ou des entreprises prêtes à s’investir, au-delà des sous, dans l’apprentissage du secteur.

« Les investisseurs ne connaissent pas assez bien notre secteur encore, fait valoir Simon Pillarella. Les investisseurs institutionnels veulent de l’expertise. Ils veulent qu’un privé prenne le leadership. »

Sarah Houde semble confiante de voir des investisseurs lever la main pour mettre sur pied un tel fonds de démarrage.

« Il est en train de se développer une capacité, une connaissance chez nous auprès des investisseurs pour pouvoir se déplacer de la phase qui est plus sécuritaire, la phase de croissance, et aller dans la phase qui est plus risquée, où il faut vraiment que tu aies de la vision sur la validité de la technologie, dit-elle. Il faut vraiment connaître ça pour dire : “ok, ça je mets de l’argent là-dedans parce qu’il y a vraiment un potentiel”. »

Pour Simon Pillarella, c’est le petit coup de pouce qui manque pour que le secteur du transport électrique et intelligent atteigne sa vitesse de croisière. 

Il y a un avantage à développer cette expertise d’investissement qui soutient les étapes précoces parce que c’est ça qui va faire en sorte que la roue va se mettre à tourner, qu’il va y avoir plus d’argent pour les entreprises.

Simon Pillarella, directeur du financement et de la main-d’œuvre à Propulsion Québec

Selon Mme Houde, ce fonds de démarrage devrait créer un effet d’entraînement. « Si nos propres investisseurs d’ici encouragent nos entreprises d’ici, ça envoie un message aux investisseurs américains et étrangers qui est différent de celui où nos entreprises sont obligées d’aller les voir pour quêter », dit-elle.

« L’argent attire l’argent et si les investisseurs locaux sont là, les étrangers vont être là aussi », renchérit M. Pillarella.

L’État ne peut tout faire

Il est pourtant de notoriété publique au Québec que les gouvernements sont aussi une source de financement importante, mais ils ne peuvent se substituer au privé, précise-t-il. « Il y a beaucoup de subventions disponibles pour aider les entreprises, elles sont bien accompagnées, mais au niveau privé, quand on parle des phases précoces d’investissement, là, il n’y a pas beaucoup d’argent et l’État a des limites à ce qu’il peut faire. »

De plus, s’il n’y a pas d’argent privé à l’étape du démarrage, il est beaucoup plus difficile d’en trouver pour passer à l’étape de la croissance et ce passage ne peut dépendre uniquement des deniers publics, explique Mme Houde. « Quand tu veux prendre ton prototype et sortir plusieurs unités pour répondre à des contrats de plusieurs millions de dollars, ça te prend du financement privé. Tu ne peux pas faire ça seulement avec de l’argent public, c’est impossible. »

Aide publique : une mise en garde

D’ailleurs, l’étude émet une mise en garde qui vise directement l’aide publique et qui est un avertissement aux gouvernements de ne pas s’acharner à nourrir trop longtemps le canard s’il est boiteux, note M. Pillarella.

« Il y a des entreprises qui vont surfer seulement sur des subventions, des crédits d’impôt en recherche et développement, mais ces entreprises n’atteignent pas des niveaux de croissance qui, à la fin, vont en faire des grandes championnes. À un moment donné il faut se poser la question : est-ce un bon retour sur l’investissement ? » se questionne-t-il, tout en réaffirmant qu’il y a quand même « beaucoup plus de positif que de négatif avec l’aide publique, c’est indéniable ».

« Il y en a de l’argent au Québec »

Simon Pillarella estime, au final, que l’étude permettra de combler une lacune importante dans le développement des TEI.

« On n’avait pas une photo claire. Là, on l’a et on sait où on a besoin d’argent pour aider notre secteur à se développer. Il y en a de l’argent au Québec. On ne veut pas que le message soit : il n’y a pas d’argent. C’est juste qu’il en faut plus au début de la chaîne de financement », dit-il.

« On a toutes les chances de réussir dans ce secteur, conclut Sarah Houde. On a les atouts. On a tellement d’actifs stratégiques qui ont un effet positif les uns sur les autres », au point où l’autre 1,3 milliard qui manque ne devrait pas être si difficile à combler, selon elle.

« Le 1,3 milliard, il y a plus d’argent dans les autres phases. On pense que le marché va prendre le dessus de ce côté et c’est d’ailleurs ce qui se passe. »